
La synesthésie, quand les sens se mélangent
Lady Gaga, Pharrell Williams ou encore David Hockney ont un point commun qui dépasse leur notoriété: tous sont synesthètes. Cette particularité neurologique rare entraîne une véritable fusion des sens. Un son peut évoquer une couleur, une lettre peut avoir une texture, une douleur peut être ressentie par procuration. Fascinant, mais encore peu compris.
Qu’ont en commun Lady Gaga, Pharrell Williams ou encore David Hockney? Tous sont synesthètes. La synesthésie est un phénomène neurologique au cours duquel la stimulation d’un sens entraîne automatiquement une réponse d’un autre. En d’autres termes, les personnes concernées associent spontanément et durablement certains stimuli à des perceptions additionnelles.
Les formes de synesthésie sont multiples. La plus connue est la synesthésie graphème-couleur, dans laquelle lettres et chiffres sont perçus avec des teintes bien précises. Une autre forme est celle de la synesthésie miroir tactile, en voyant quelqu’un se blesser, le synesthète ressent la douleur de cette personne dans son propre corps.
Un phénomène plus répandu qu’on ne le pense
Les scientifiques estiment qu’un à 4% de la population mondiale présenterait une forme de synesthésie. Un chiffre difficile à confirmer. «Beaucoup de gens ignorent qu’ils sont synesthètes, car ils pensent que tout le monde perçoit le monde comme eux», explique Emilie Caspar, professeure en neurosciences à l’université de Gand.
Plusieurs théories scientifiques tentent d’expliquer l’origine de la synesthésie. «L’une d’elles suppose qu’elle est liée à un élagage neuronal incomplet durant le développement cérébral. Des connexions entre les aires sensorielles, normalement supprimées, persisteraient chez les synesthètes», détaille Emilie Caspar.
Une autre hypothèse avance que nous serions tous synesthètes, mais que notre cerveau inhibe ces connexions au fil du temps, faute d’utilité. Chez les synesthètes, ces liens persisteraient et resteraient actifs.
La cause de la synesthésie n’est pas encore confirmée, mais des indices émergent. «La piste génétique semble la plus plausible, avec un gène récessif qui pourrait se transmettre au sein d’une même famille», poursuit la neuroscientifique. Un facteur environnemental jouerait également un rôle, notamment durant une période sensible de l’enfance, entre 4 et 8 ans.
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Une reconnaissance encore trop marginale
Face à l’errance diagnostique, l’Union européenne a lancé en 2023 une application financée par le Conseil européen de la recherche. L’objectif de cette application est d’identifier la synesthésie chez les enfants et les adultes à travers une série de tests.
Un pas important, selon Emilie Caspar: «Certaines personnes consultent un psychiatre car elles croient avoir un trouble. Or, le corps médical n’est pas toujours formé à reconnaître la synesthésie, ce qui mène à de mauvais diagnostics. Pour d’autres, cette perception atypique peut être source d’anxiété. Savoir à quoi cela correspond permet d’apaiser.»
La synesthésie, une clé potentielle de la mémoire et de l’apprentissage
L’étude de la synesthésie pourrait améliorer notre compréhension du cerveau. Les chercheurs s’intéressent de près aux capacités mnésiques des synesthètes. «Les associations sensorielles supplémentaires semblent favoriser la mémoire. Les synesthètes disposent de plus de points d’ancrage sensoriels pour mémoriser des informations», explique la chercheuse.
Ces observations nourrissent des pistes dans le domaine des méthodes d’apprentissage. En comprenant mieux ces perceptions croisées, la science pourrait un jour améliorer l’enseignement ou la prise en charge de certains troubles cognitifs.
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