
Des plantes génétiquement modifiées bientôt autorisées, attention danger? «Ne jouons pas aux apprentis sorciers avec nos assiettes»
Alors que l’Union européenne s’apprête à assouplir la réglementation sur certaines plantes génétiquement modifiées, un doute se propage dans les rangs écologistes et scientifiques: la promesse d’une agriculture durable ne masque-t-elle pas un risque sanitaire ou environnemental? Et surtout, que sait-on réellement des effets de ces organismes sur l’alimentation?
C’est un changement législatif discret, technique, mais qui pourrait bien bouleverser la composition des repas. Début 2025, les institutions européennes sont entrées en négociation pour déréguler partiellement les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NTG), aussi appelées «nouveaux OGM». Derrière cet acronyme, des outils qui permettent de modifier l’ADN d’une plante sans lui intégrer de gènes étrangers, à la différence des OGM classiques.
L’objectif affiché par les partisans de la réforme: rendre les cultures plus résistantes aux ravageurs, aux maladies ou à la sécheresse, tout en réduisant l’usage d’engrais et de pesticides. Mais cette réforme suscite une levée de boucliers dans plusieurs Etats membres, et notamment en Belgique. Le gouvernement fédéral soutient la réforme, tandis que le ministre wallon de l’Environnement, Yves Coppieters (Les Engagés), appelle à poser des balises claires: «Si les NTG offrent aujourd’hui des avantages incontestables, quel en est le coût pour la santé publique, pour notre environnement? Il est encore incertain.» Entre-temps, au Parlement européen, Les Engagés ont voté pour l’assouplissement des mesures sur l’utilisation des ONG, laissant Ecolo esseulé.
La question dépasse largement les frontières belges. En février dernier, le Parlement européen a validé la proposition de la Commission, malgré l’opposition des Verts. Pour l’eurodéputée Saskia Bricmont (Ecolo), «déréglementer ces nouveaux OGM reviendrait à favoriser un modèle économique dominé par les brevets de multinationales, au détriment des producteurs locaux et de l’autonomie agricole. Cela va à l’opposé du chemin que l’Europe doit suivre.» Elle résume: «Ne jouons pas aux apprentis sorciers avec nos assiettes.»
Effets sur la santé
Au-delà des considérations agricoles ou économiques, les nouvelles plantes modifiées en passe d’être approuvées par le Parlement européen posent une question de fond: sont-elles un risque pour la santé des consommateurs? Difficile de trouver une réponse qui fait l’unanimité côté scientifique. L’absence de recul sur les effets sanitaires à long terme de ces organismes génétiquement modifiés est un obstacle de taille. «Transformer l’ADN d’une plante, c’est aussi changer potentiellement la structure des protéines qu’elle exprime. Cela peut générer des réactions allergiques ou des effets imprévus sur le microbiote intestinal», explique le toxicologue Bernard Url, ancien directeur exécutif de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Ces inquiétudes sont sourcées par plusieurs études scientifiques qui soulignent que l’ingestion répétée de protéines inconnues, même à faible dose, peut provoquer des perturbations immunitaires ou des sensibilités nouvelles.
Autre sujet d’inquiétude, l’effet cocktail. Si chaque plante modifiée fait l’objet d’une évaluation isolée, rien n’est prévu pour tester les effets combinés de plusieurs OGM dans un même régime alimentaire. En somme, l’impact sur la santé ne se mesure pas uniquement plante par plante, mais aussi dans l’interaction entre elles ou avec l’environnement digestif. Saskia Bricmont en a fait son combat. Elle est totalement opposée aux réformes de l’Union européenne visant à assouplir les réglementations des OGM, et dénonce un manquement aux devoirs de protection des consommateurs: «Laisser ces produits entrer dans l’alimentation sans traçabilité ni surveillance renforcée, c’est prendre un risque sanitaire que personne ne pourra contrôler une fois la chaîne lancée.»
Pour ses partisans, la réforme est indispensable face aux défis climatiques. L’utilisation d’OGM permet aux agriculteurs d’avoir des récoltes plus résistantes aux facteurs climatiques, aux insectes et aux maladies. Mais pour ses opposants, elle est précipitée, mal encadrée, et oublie une leçon fondamentale: celle du principe de précaution. Ce même principe inscrit dans les traités européens, et qui impose de ne pas autoriser une technologie si ses risques ne sont pas entièrement maîtrisés.
Quant à l’EFSA, si elle n’exprime pas d’hostilité envers les nouvelles techniques, elle appelle à «renforcer l’évaluation des risques» et à rester vigilant sur les impacts à long terme. L’agence souligne que les OGM autorisés font l’objet d’un monitoring post-commercialisation pour évaluer les effets non anticipés sur l’environnement ou la santé. La logique au Parlement européen est donc la suivante: autoriser, puis contrôler.
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L’EFSA, une vigie scientifique sous pression
Au cœur du processus d’autorisation de tout OGM, classique ou nouvelle génération, se trouve l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments. C’est cette agence basée à Parme, en Italie, qui évalue les risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées avant leur mise sur le marché.
Depuis sa création en 2002, l’EFSA a émis plus de 100 avis scientifiques sur des demandes d’OGM. Elle affirme appliquer une méthodologie «rigoureuse, transparente et fondée sur des preuves scientifiques». Chaque demande est évaluée au cas par cas, en analysant notamment la toxicité potentielle, les risques d’allergies, de transfert de gènes à d’autres espèces, et donc l’impact sur la biodiversité.
Mais une critique revient régulièrement: l’agence ne mène pas elle-même d’études en laboratoire. Elle se base sur les dossiers fournis par les entreprises demandeuses. «C’est au pétitionnaire de démontrer l’innocuité de son OGM, et non à l’EFSA de la prouver», résume le juriste Guillaume Tumerelle. Une logique qui fait grincer des dents chez les ONG. D’autant que, jusqu’à présent, aucune demande n’a reçu d’avis défavorable.
Dernièrement, l’agence a publié une nouvelle note méthodologique sur la qualité du séquençage ADN pour les plantes génétiquement modifiées, et elle mène en ce moment même une consultation publique sur les risques liés aux nouvelles protéines exprimées par les plantes de la catégorie OGM.
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