Ces allergies rares qui le sont de moins en moins: la faute à nos modes de vie?
Notre alimentation et nos rythmes de vie ont changé, nos allergies aussi. De nouveaux allergènes sont apparus et les allergies croisées se sont multipliées. Les cas restent relativement rares, pour l’instant…
Urticaire, dermatite, asthme, rhinite, œdème, choc anaphylactique, troubles digestifs: les réactions allergiques peuvent provoquer chez les sujets qui en souffrent des symptômes quelquefois impressionnants et un certain inconfort. Les allergènes ne constituent pas un danger en soi, à la différence des bactéries, des virus ou des parasites. Mais chez les allergiques, le système immunitaire les considère, à tort, comme tel et déclenchent une réaction de défense de l’organisme parfois très forte. La montée en flèche du nombre des allergies ces dernières années inquiète l’Organisation mondiale de la santé. L’OMS projette qu’une personne sur deux sera concernée d’ici à 2050, contre une sur trois à une sur quatre aujourd’hui.
Davantage de réactions allergiques résultent de l’utilisation de technologies agroalimentaires.
Les principaux coupables sont connus: arachides, fruits à coque, lait de vache, certains fruits et légumes, latex, acariens, poils et plumes d’animaux, insectes, pollens d’arbres, d’herbacés et de graminées, certains médicaments. Ce sont eux qui, dans la grande majorité des cas, nous font tousser, éternuer, rougir, nous gratter, gonfler…
En réalité, un nombre très limité d’allergènes sont responsables de la grande majorité des réactions allergiques. Pour l’instant… Car de nouveaux perturbateurs ont récemment fait leur apparition. La mondialisation fulgurante des dernières décennies nous a poussés à modifier nos habitudes et à adapter nos modes de vie.
L’évolution a aussi eu lieu dans l’assiette: aux aliments consommés quotidiennement par nos parents et grands-parents et auxquels notre organisme est habitué, sont venus s’ajouter d’autres, originaires de contrées lointaines. Quant à nos menus d’individus pressés, ils font aujourd’hui la part belle aux produits ultratransformés issus de l’industrie agroalimentaire. Ces nouvelles tendances et ce goût pour l’exotisme à portée de fourchette ont favorisé le développement d’allergies encore rares mais qui tendent à gagner du terrain.
On identifie différents types d’expositions aux aliments pouvant déclencher ce dérèglement du système immunitaire provoqué par l’intolérance à une substance. D’abord l’exposition aux aliments à faible allergénicité et que nous consommons fréquemment comme l’ail, les oignons, l’aubergine, la tomate, l’échalote, l’artichaut, les choux, le radis, la camomille, le tournesol, le miel, le riz, les salades vertes, l’orange, le citron et les pommes de terre. Puis l’exposition à certains condiments comme le curry, le paprika, le poivre et les lamiacées (basilic, thym, origan, lavande, menthe, sauge, hysope, romarin, sarriette).
Ou encore celle attribuée à une faible ou croissante consommation d’aliments émergents tels que les fruits exotiques, de nouvelles plantes, graines ou céréales en vogue ou présentées comme des alternatives aux aliments traditionnels. Sont régulièrement cités dans cette catégorie: le lupin, le sésame, le sarrasin ou l’inuline (une fibre naturelle présente dans certains végétaux comme la chicorée, l’agave, l’ail, l’asperge, l’artichaut ou le topinambour).
Difficilement détectables
Cheffe de clinique au service d’hépato-gastro-entérologie pédiatrique des Cliniques universitaires Saint-Luc, la Pr Françoise Smets voit de plus en plus de patients souffrant d’allergies moins fréquentes se présenter aux consultations. «La population souffre davantage d’allergies à certaines graines et céréales que nous consommions rarement auparavant, alors qu’elles ont toujours été régulièrement cuisinées dans d’autres régions du monde. Peut-être les tolérons-nous moins parce que nous les introduisons au mauvais moment, ou pas assez tôt dans la vie, ou le terrain et les circonstances n’y sont pas favorables.»
On estime aussi que davantage de réactions allergiques résultent de l’utilisation de technologies agroalimentaires. Les risques sont en partie liés à l’utilisation croissante de protéines alimentaires comme additifs ou auxiliaires de fabrication qui constituent, à ce titre, des allergènes masqués à risque anaphylactogène comme à risque d’accroître progressivement l’intensité de la sensibilisation, pointait déjà, il y a vingt ans, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Les hydrolysats de protéines dérivés du lait ou du blé, par exemple, sont utilisés comme arômes, les protéines végétales de certaines graines comme liants et certaines huiles végétales sont extraites d’aliments de nature allergisante, tandis que les huiles pressées à froid contiennent des allergènes.
Les lécithines (des substances lipidiques présentes dans certains aliments d’origine animale ou végétale) sont, elles, utilisées comme émulsifiants. A quel point faut-il se méfier de ces substances pas toujours clairement identifiées sur les emballages des produits que nous achetons et que nous consommons?
Les risques d’allergie sont réels mais restent minces. «La caséine, pour reprendre l’un de ces exemples, est une des principales protéines du lait. Les personnes qui réagiront sont celles qui sont déjà allergiques au lait, ce qui est rare chez l’adulte, clarifie la Pr Smets. D’autres substances sont plus difficilement identifiables, car cachées dans les aliments, raison pour laquelle l’étiquetage doit être le plus précis possible.»
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Il n’y a d’ailleurs pas que dans notre frigo et nos placards que les allergènes se cachent. Certains produits cosmétiques contiennent aussi de l’isolat de blé. «Les recherches sont encore en cours mais on suspecte que certains dérivés du blé utilisés dans ces produits pourraient avoir un effet négatif. Leur usage pourrait donc favoriser une allergie alimentaire au blé dans un deuxième temps.»
La diversification alimentaire a aussi augmenté le risque d’allergies croisées. Dans ce cas, l’organisme sécrète des IgE (des anticorps naturellement présents dans l’organisme) mais pas suffisamment spécifiques. Ils réagissent donc à plusieurs allergènes différents mais ayant des configurations très proches. Il peut d’ailleurs s’agir d’espèces végétales ou d’aliments proches ou éloignés. On distingue ainsi plusieurs types de croisements: entre aliments et pneumallergènes (comme le céleri et le pollen d’armoise), entre latex et aliments (avocat, banane, kiwi, châtaigne, surtout chez les soignants et les patients opérés) ou entre deux aliments (lupin et arachide, par exemple).
Il n’y a pas que dans notre frigo et nos placards que les nouveaux allergènes se cachent.
Intolérances alimentaires
En revanche, il n’existe pas d’allergie croisée indépendante, précise Françoise Smets. «Certaines personnes peuvent être exclusivement allergiques au latex. Dans la majorité des cas, elles se voient allergisées via la banane ou l’avocat, deux allergènes qui peuvent croiser avec le latex. Mais une personne qui aurait été opérée une première fois avec du matériel contenant du latex pourrait avoir été sensibilisée au latex sans être allergique à autre chose. Autre exemple, la noisette: si on est allergique au pollen de noisetier, on peut développer une allergie croisée à la noisette, le plus souvent à la noisette crue car l’allergène responsable est détruit lors de la cuisson. Mais d’autres personnes peuvent très bien déclarer une allergie à la noisette sans être allergique au pollen de noisetier, en réagissant alors à d’autres allergènes que contient la noisette, et faire des réactions plus sévères.»
Les allergies alimentaires ne doivent pas être confondues avec les intolérances alimentaires qui ne font pas intervenir de mécanismes immuno-allergiques. Le grand classique est évidemment l’intolérance au lactose qui doit être différenciée de l’allergie aux protéines de lait de vache ou au blé. Ni l’être avec des réactions très proches de celles déclenchées par l’allergie après l’ingestion d’aliments riches en histamine ou provoquant la libération d’histamine comme certains aliments fermentés ou fumés, les fraises, le chocolat ou encore les tomates. De la même façon, l’allergie au gluten, dont les effets sont immédiats, doit être distinguée de l’intolérance au gluten qui est une maladie intestinale chronique qui s’installe au bout de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
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Chez certains individus, l’ensemble de ces aliments peuvent être à l’origine d’une symptomatologie souvent étiquetée à tort, par le patient lui-même et dans certains cas par le médecin, comme allergique. Les symptômes les plus fréquents de ces fausses allergies alimentaires sont les céphalées et migraines, les troubles fonctionnels intestinaux et l’urticaire chronique, pointe l’Afssa.
Enfin, il y a ces allergies bizarres, intrigantes par leur côté très singulier. On ne compte plus les articles relatant les malheurs de ces personnes allergiques à l’eau, au soleil, au froid. Des cas qui laissent la spécialiste de Saint-Luc perplexe. «L’eau peut contenir des minéraux mais pas de protéines. A mon sens, on ne peut donc pas parler d’allergie en tant que telle. Ce qui peut arriver, par contre, c’est que certaines personnes fassent une réaction cutanée très forte, comme avec le chlore. Quant au soleil, il peut exister une sensibilité particulière qui provoque des réactions, mais je ne vois pas bien en quoi les réactions aux rayons du soleil pourraient être qualifiées d’allergiques.» Ce que nous pensons être des allergies au soleil sont dans la plupart des cas des lucites estivales qui se traduisent par une éruption de petits boutons sur les zones exposées. D’autres encore se prétendent allergiques au sport, au froid ou au boulot. Croisées ou pas, ces pseudo-allergies n’en sont pas.
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