Un homme portant des bouchons d’oreille, à Brno le 16 août 2003 © AFP

Acouphènes: les bouchons d’oreille protègent-ils tous bien ou pas?

Les médecins insistent: il est essentiel de porter des protections lors de l’exposition à de niveaux sonores importants. Mais tout ne se vaut pas sur le marché, et les meilleurs modèles ne sont pas toujours faciles à identifier.

Des bruits dans la tête, en continu et parfois à vie. Voilà l’enfer avec lequel doivent vivre les personnes souffrant d’acouphènes. À en croire le rapport du Conseil supérieur de la Santé, cette pathologie souvent incurable est de plus en plus courante. Au moins 10% de la population serait concernée et dans un peu plus de la moitié des cas, ces désagréments durent depuis cinq ans ou plus. Un sixième des acouphènes impactent même négativement la qualité de vie. Chez les jeunes, les statistiques sont encore plus alarmantes. L’université d’Anvers estime ainsi que 18% des jeunes en sont atteints, dont la moitié de façon permanente. La faute à leur exposition répétée à des sons trop intenses pendant une durée trop élevée (boîtes de nuit, concerts, festivals, etc.).

La meilleure façon de s’en prémunir reste d’éviter les bruits forts, surtout ceux au-dessus de 85 décibels (dBA). Mais il existe aussi une solution toute simple: les bouchons d’oreille. Leur distribution (gratuitement ou à prix coûtant) est même parfois une obligation légale, comme à Bruxelles dans les lieux diffusant un son au-dessus de 95 dBA. Sauf que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.

Le sur-mesure l’emporte, mais d’autres bouchons se défendent bien

Une norme européenne contrôle ce type de protection auditive. Incluse dans la directive 89/686/CEE, elle impose aux fabricants de proposer des bouchons d’oreille atténuant le bruit de telle sorte qu’il ne soit en aucun cas supérieur aux limites de niveaux sonores pour les travailleurs. «Pour la bande de fréquences autour de 4 kHz, par exemple, les bouchons d’oreilles doivent atténuer le bruit d’au moins 12 dBA», précise le SPF Santé publique.

En théorie, un service minimum est donc attendu de la part des bouchons d’oreille. En pratique, la qualité de la protection réelle est variable. Testachats a réalisé deux enquêtes à ce sujet. Dans la première, des bouchons auditifs de toutes sortes ont été contrôlés (en mousse, en cire, à lamelles universels, en forme de parapluie, dotés d’un filtre, sur-mesure). Conclusion: sur 17 modèles testés face à une source de 105 dBA, neuf ne permettaient pas d’éviter des dommages auditifs aux deux oreilles, et quinze à une seule oreille. Les dommages étaient en grande partie réversibles, mais ces résultats étaient décevants. Ceux qui s’en sortaient le mieux étaient des bouchons sur-mesure, vendus à 169 euros. Un prix élevé… qui n’est pas forcément gage de qualité. La seconde place est ainsi revenue à des bouchons en mousse vendus à 0,62 euro.

Dans sa seconde enquête, Test-Achats s’est concentrée sur les bouchons sur-mesure. L’organisation a alors confirmé la supériorité de ce type de modèle, de manière générale. La protection est plus importante, idem pour le confort. La qualité d’écoute musicale est également meilleure. Bref, ils remportent clairement la partie face aux bouchons universels et jetables.

Il n’empêche, des différences existent entre les fabricants sur-mesure, surtout liées au processus de conception du produit. Une partie des cinq entreprises étudiées (Amplifon, Audika, Aurilis, Hans Anders, Lapperre et Veranneman) dans près de 30 centres ne vérifiaient pas si le conduit auditif du client était bien dégagé, ce qui est pourtant essentiel afin de bien prendre l’empreinte pour le bouchon. Un tiers des magasins omettaient de demander quel était le niveau d’atténuation souhaité pour les filtres, et ne donnaient que peu d’informations sur l’insertion et l’entretien des produits. Embêtant, vu qu’une mauvaise utilisation peut, dans les cas les plus graves, provoquer des lésions de l’ouïe. La moitié des centres ne faisaient pas non plus de test d’étanchéité, et trois n’essayaient pas du tout les bouchons, «ce qui est inacceptable», gronde Test-Achats.

Dans son dossier sur les protections contre le bruit, l’association française UFC-Que Choisir donne quelques précisions supplémentaires sur les matières utilisées pour les bouchons. Il s’avère ainsi que ceux en cire (type Boules Quiès) «sont peu irritants mais moins confortables que ceux en mousse qui, eux, peuvent provoquer des allergies chez certaines personnes». Dans les deux cas, ces modèles conviennent pour un usage occasionnel. Ceux en silicone sont présentés comme une bonne alternative, car «ils durent longtemps et se lavent».

Des choix à réaliser au cas par cas

Il y a donc des différences de qualité manifestes entre les bouchons d’oreille. Mais concrètement, doit-on exclure tel ou tel type de modèle au profit d’un autre? Cela dépend. Pour une personne avec une audition normale, de bons bouchons en mousse ou en silicone peuvent baisser le niveau sonore de 30-40 dBA, et cela convient, selon Caroline Marlair, médecin ORL au site Sainte-Elisabeth du CHU UCL Namur. «Ces protections sont adaptables à la majorité des conduits auditifs», assure-t-elle.

Il faut en tout cas que l’oreille soit le plus efficacement obstruée. En ce sens, elle précise que la mousse peut souvent mieux remplir ce rôle car «elle gonfle en prenant la forme du conduit». «Mais s’il y a par exemple des conduits auditifs externes un peu anguleux, le bouchon sera vite expulsé. C’est là qu’il faut aller prendre l’empreinte chez un audioprothésiste et se diriger vers du sur-mesure».

Un individu peut également demander des bouchons bloquant un certain type de fréquences, fait-elle savoir. C’est par exemple le cas de personnes qui utilisent des outils bruyants sur le lieu de leur travail, et qui sont donc exposées régulièrement à des fréquences précises.

En revanche, pour les personnes ayant déjà des acouphènes, elle recommande surtout d’éviter les sources importantes de bruit. Chez elles, les bouchons peuvent, selon la spécialiste, amener leur cerveau à percevoir davantage la présence de l’acouphène, et donc à l’«imprimer» de façon «encore plus pérenne».

Des personnes plus sensibles au bruit difficiles à identifier

En résumé, le choix des bouchons dépend des particularités de chacun. Impossible de donner une réponse simple, comme a pu le constater la présidente de l’asbl Belgique Acouphènes, Yolande Delobbe. Victime d’acouphènes depuis 40 ans, cela fait des décennies qu’elle se renseigne autant que possible sur le sujet, en rencontrant de grands spécialistes, y compris au niveau international. «Mais c’est vraiment très complexe», constate-elle. Un hyperacousique (autrement dit un individu facilement agressé par le bruit) aura par exemple besoin de bouchons diminuant davantage le niveau de dBA.

«Puis nous sommes tous sensibles à des fréquences qui ne sont pas les mêmes, et nous manquons de recherches scientifiques pour en savoir plus sur ces nuances», explique Yolande Delobbe. Il existe des audiogrammes, capables de voir pour chaque fréquence la sensibilité d’un individu. «Mais c’est comme pour la prise de tension ou de sang. Un audiogramme ne sera pas le même à tel ou tel moment, en fonction du contexte». Impossible donc de se fier totalement à un audiogramme pour créer des bouchons personnalisés. Cette technique permet néanmoins aux médecins de détecter quelques faiblesses, surtout dans les fréquences aiguës, ajoute Caroline Marlair, et d’alerter le patient si cela se produit.

“Nous manquons de recherches scientifiques”

Yolande Delobbe, présidente de Belgique Acouphènes

La médecin ORL propose un seul autre moyen pour tenter de deviner si une personne est à risque ou pas face à des niveaux importants de décibels: le test du réflexe stapédien. Il se base sur la contraction involontaire de petits muscles de l’oreille, qui s’activent lorsqu’ils sont exposés à un bruit aux alentours de 80 dBA. «Chez certaines personnes, ce réflexe est aboli et elles sont plus sujettes aux traumatismes sonores».

Face à l’incertitude, la prudence prévaut

Il existe ainsi quelques pistes pour déterminer si une personne doit faire particulièrement attention, et mettre des bouchons d’oreille de façon plus rigoureuse. Malgré tout, Yolande Delobbe aurait bien voulu que les outils médicaux soient plus perfectionnés concernant la problématique des acouphènes. Selon elle, «ce n’est pas une priorité de la recherche», et les subsides manquent pour que la prévention soit plus efficace.

Face à ce flou persistant, Caroline Marlair insiste pour que le grand public se protège dans tous les cas au-dessus de 85 dBA, tout en faisant des pauses afin de permettre à l’oreille de se reposer. En-dessous de ce seuil, si une personne se sent vite agressée par des bruits, il faut également faire attention et ne pas ignorer ce qui représente, possiblement, un signal d’alerte.

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