Comment tout a changé pour les Red Flames
Avant d’accueillir la Norvège et l’Irlande dans la peau d’une équipe en pleine progression, les Red Flamesont emprunté quelques chemins de traverse. En attendant un EURO 2022 où elles arriveront remplies d’ambitions, focus sur ces années qui ont tout changé pour la sélection féminine.
« Mon premier match en sélection? C’était au milieu de nulle part, avec des mini-vestiaires où ta tête dépassait de la douche, tout était en vieille pierre. Tu avais des bancs en bois. Ça me rappelait les tournois quand j’étais jeune. » Au moment d’ouvrir la boîte à souvenirs, Cécile De Gernier ne peut s’empêcher de se marrer. Ce que l’ancienne internationale (2011-2016) déterre, c’est cette rencontre de mai 2011 contre la Corée du Nord, au cours de laquelle des joueuses du calibre d’ Heleen Jaques (toujours active à Gand), Janice Cayman (Lyon), Davina Philtjens (Sassuolo), ou encore Aline Zeler montent sur le terrain de l’Excelsior Veldwezelt, un club de Promotion situé à la frontière belgo-néerlandaise. « Il y avait peut-être 200 personnes », poursuit l’actuelle consultante de La Tribune, qui a connu les Ryanair pris à l’arrache à 6 heures du matin pour limiter les frais de transport.
Quand j’étais ado, dans le fin fond de ma Province du Luxembourg, je ne savais même pas qu’il existait une équipe nationale féminine. »
Aline Zeler, ex-internationale
On est loin des 7.000 supporters massés à Den Dreef en avril 2018 (le record d’affluence pour un match de la sélection belge). Ou du confort offert par le stade d’OHL, modernisé grâce à l’argent de King Power, des installations du Centre national de Tubize, ou du staff pléthorique qui épaule à présent Ives Serneels, un coach qui vient de fêter les dix ans de sa prise de fonction à la tête d’une équipe nationale aujourd’hui ancrée dans le subtop européen (17e au ranking FIFA).
Flash-back, donc. En 2011, le toque est toujours la référence mondiale en matière de football et la planète découvre tout juste un réseau social nommé Instagram. Une autre époque, où l’équipe nationale belge ne pointe qu’à la 35e place au classement FIFA. Un autre monde aussi pour le foot féminin dans son ensemble, qui est alors loin de jouir de l’attention dont il bénéficie désormais. En tout cas chez nous. Ce que découvre l’ancien défenseur du Lierse, champion de Belgique 1997, c’est d’abord un staff réduit à quatre, cinq membres à peine… et qui ne bossent pas à temps plein. À tel point que faute d’entraîneur des gardiennes, l’ex-coach des féminines du club lierrois est obligé de demander à un ami d’entraîner ses keepers.
Tournée générale
Une situation impensable aujourd’hui, tout comme le fait de voir une sélection nationale écumer la Belgique entière pour promouvoir le foot féminin: Loenhout, Strombeek, Ath, Nieuport, Verviers, pour celles qui s’appellent alors encore « Les Diablesses », c’est un peu la tournée des Grands Ducs aux quatre coins du Royaume. « Personne ne nous connaissait, donc c’était une belle façon mettre ça en avant », explique pour sa part Aline Zeler, recordwoman de sélections avec 111 caps au compteur. » Quand j’étais ado, dans le fin fond de ma Province du Luxembourg, je ne savais même pas qu’il existait une équipe nationale féminine. »
Un deal d’autant plus intéressant que cette situation leur permet de profiter d’infrastructures plus solides que celles qu’elles retrouvent à l’époque en club, « avec de l’eau chaude une fois sur deux », pour paraphraser De Gernier. « Pour les qualifs pour l’EURO 2013, on s’est fixées au stade Armand Melis de Dessel », continue Zeler. « Une arène dotée d’une tribune d’environ mille personnes. J’en garde de très bons souvenirs, avec un terrain et des vestiaires de bonne qualité. Et puis c’était un peu chez nous. « C’était une évolution positive d’avoir un stade fixe », ajoute CDG. « Nous, les joueuses, tout comme les hommes, on a besoin de rituels, c’est important dans le sport de haut niveau. » Des petites superstitions difficiles à mettre en place dans le chef d’une équipe qui a foulé « mille terrains » en cinq ans, de l’aveu de l’ancienne milieu de terrain du Standard. Après avoir voyagé entre le Kiel du Beerschot, le stade Leburton de l’AFC Tubize, le Kehrweg d’Eupen ou le stade Arc-en-ciel de Zulte Waregem notamment, ce sera finalement Den Dreef, fief d’OHL, qui fera office de stade attitré durant la campagne qualificative pour l’EURO 2017, et qui l’est encore à l’heure actuelle, malgré de récentes infidélités au profit du stade Roi Baudouin.
Eurovision
L’EURO 2017, soit une compétition qui va changer énormément de choses pour la sélection et même le foot féminin belge en général. « Il y a vraiment eu un avant et un après incroyable », s’enthousiasme De Gernier. « Au niveau de l’encadrement, ça n’a plus rien à voir: il y a une masseuse, deux médecins, trois kinés, deux vidéos-analystes, etc. Les Red Flames bossent comme les Diables. » Sans parler de l’hôtel ou de la salle de sport dispos au Centre national de Tubize, qui permet aux joueuses sélectionnées d’avoir tout le matos à disposition lors des trêves internationales.
Des breaks qui ont bien changé eux aussi. « Il y a quinze ans, je me souviens qu’on arrivait après notre journée de boulot pour s’entraîner la veille du match », rembobine Zeler. « Et le lendemain de la rencontre, après une nuit à l’hôtel, on repartait au travail ou chez nous. » « Moi, je n’ai pas vécu ça, mais ce qui restait compliqué, c’est qu’on devait toutes prendre congés. C’est moins le cas aujourd’hui ( seules six Flames sélectionnées pour les rencontres face à la Norvège et l’Irlande sont pros, mais il y a plus d’étudiantes qu’à l’époque, ndlr). Et nous, on n’était pas payées pour venir, contrairement à maintenant. Tout au plus touchait-on un défraiement de cent euros brut par jour vers la fin de ma carrière », complète Cécile. Pas énorme en effet pour ces femmes qui avaient toutes un job sur le côté. « Le potentiel, à l’époque, on l’avait, mais ce n’est pas toujours possible de combiner vie professionnelle, personnelle, club et sélection », assure Zeler, en se remémorant une période pas si lointaine. « Si on avait eu les mêmes entraînements, ça aurait donné quelque chose! »
Le championnat d’Europe va aussi marquer une étape claire dans la médiatisation des joueuses belges, grâce à la diffusion des rencontres sur la RTBF. Celle-ci connaît un pic à 190.000 téléspectateurs pour la dernière rencontre de poules, perdue contre les Pays-Bas. En Flandre, le chiffre grimpe même 892.000 personnes! Une preuve du gap presque culturel qui existe entre les deux principales entités linguistiques du pays en matière de politique sportive. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si la grande majorité du noyau et du staff est issu du nord du pays et que la langue véhiculaire au sein de l’effectif est le néerlandais.
Côté francophone, un nouveau palier semble être franchi dans la foulée d’un Mondial 2019 à la popularité hors normes, et ce même en l’absence des Red Flames. Angleterre, France, Pays-Bas, plusieurs pays enregistrent des records d’audience et plus d’un milliard de personnes matent les exploits de Megan Rapinoe, Vivianne Miedema et Cie. Du jamais vu dans l’histoire de l’épreuve! » Ça a été un déclencheur pour nous, car on a tous vu que si on mettait les moyens comme TF1 l’avait fait, le public suivait derrière », confirme Emiliano Bonfigli, qui commente les rencontres amicales et qualificatives des Red Flames depuis août 2019 sur Club RTL. « On voulait établir le même dispositif que ce qu’on fait en Coupe de Belgique, avec deux consultants (dont Aline Zeler) pour bien vendre le « produit », même si je n’aime pas ce mot. » Avec au final des audiences qui tiennent la route: une moyenne flirtant avec les 100.000 téléspectateurs. « Des chiffres supérieurs à un match de l’Antwerp en Europa League. Et ça peut encore évoluer en fonction des résultats », continue le journaliste de la chaîne privée.
Montée en puissance
Et côté résultats aussi, l’évolution est manifeste sur la dernière décade. S’il loupe l’EURO 2013 et la Coupe du monde 2015, le groupe noir-jaune-rouge ne rate plus le coche pour l’EURO 2017. Affublées de maillots trop grands pour elles (et pour cause, ils sont conçus pour des morphologies d’hommes! ), les Belges grattent un succès historique contre la Norvège d’ Ada Hegerberg, mais plient avec les honneurs contre le Danemark et les Pays-Bas, futurs finalistes du tournoi. Il est peut-être temps de rentrer au pays, mais pas sans 5.000 supporters belges conquis. Preuve que quelque chose est en train de bouger, l’équipe se réunit un peu en cata pour négocier les primes qui leur sont dues suite à leur participation au grand bal européen.
Las, le Mondial 2019 se disputera sans les Flames, la faute à une douloureuse sortie de piste face aux Suissesses en barrages qualificatifs. Qu’à cela ne tienne, dès la fin de l’été 2019, Tessa Wullaert et les autres prennent la route de l’Angleterre avec cette fois la ferme intention de ne pas rater l’Eurostar en marche. Elles parviennent à se qualifier dans un groupe où seule la Suisse, encore elle, fait office d’adversaire à la mesure de Belges qui enquillent les buts et les succès contre des sans-grades, avant d’exploser la Nati un soir de décembre (4-0). Une prestation trois étoiles qui laisse augurer du meilleur. Jusqu’à ce mois de février, et la double confrontation amicale contre les Pays-Bas et l’Allemagne, deux des meilleures nations mondiales. Deux squads qui ne pardonnent pas le moindre relâchement, et balayent les Red Flames. « Un retour les pieds sur terre », lâchera Janice Cayman après la déroute face aux Oranje Leeuwinnen.
« C’était décevant, mais l’attitude a changé », pointe néanmoins Cécile De Gernier. « Parce qu’on n’est plus là pour défendre en bloc, mais pour proposer quelque chose. Là, on s’est créé des opportunités, ce qui n’était pas forcément le cas avant. C’est ça qui est intéressant! » Surtout à un un peu plus d’an d’un EURO qui va permettre de mieux jauger ce que ce groupe a dans le bide.
L’heure des pros
Mais que s’est-il passé, au final, pour qu’en dix ans à peine, la Belgique mette du respect sur son nom? Au-delà d’une évolution générale des mentalités et de fonds FIFA et UEFA plus importants, « c’est avant tout parce qu’on retrouve les bonnes personnes au bonnes places », selon Ives Serneels. « On fait plus attention aux raisons qui poussent à prendre ou pas quelqu’un dans le groupe. Tout le monde connaît mieux son rôle. On a aussi grandi, car la fédération mise plus sur les jeunes. »
« Serneels est arrivé en traitant tout le monde sur un pied d’égalité, sans user du copinage qui avait encore lieu avant lui », ajoute Cécile De Gernier. « Avant, le foot féminin ne voulait pas se professionnaliser, ça stagnait. Lui, ce qu’il a amené, c’est de l’ambition, l’envie pour les filles de progresser. Quand tu as un mec comme lui, qui vient du foot pro et qui te dit: Moi, ça ne me va pas de vous voir là, il faut faire mieux, tu l’écoutes. » Et manifestement, en haut lieu, on l’écoute aussi. « Pas au début », relativise pourtant le principal intéressé. « On était un peu la dernière roue du carrosse. Parfois, pour contacter certains départements, il fallait envoyer quatre ou cinq mails avant d’avoir une réponse… Mais Steven Martens, qui était alors le CEO de la fédé, croyait dans le foot féminin et a été le premier à mettre en place une véritable stratégie autour de ça. Sans doute parce qu’il venait du tennis féminin. »
Des exploits de Justine et Kim au succès actuel, il n’y a qu’un pas, entrecoupé d’une multitudes de petits ajustements. Ceux-ci prennent la forme d’un staff qui s’agrandit à la demande du sélectionneur, d’un suivi individuel plus fin, d’une meilleure politique de jeunes, d’une collaboration plus étroite avec le directeur technique, un certain Roberto Martínez, qui imposera l’utilisation de la vidéo-analyse pour l’équipe féminine également. Mais aussi de matches qui s’accumulent, histoire d’acquérir l’expérience internationale nécessaire pour grandir. « Autant de petits détails qui font la différence », dit Serneels.
La différence entre une équipe qui se cherche et une sélection qui vise une première participation à un Mondial, dont la prochaine édition aura lieu en 2023 en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elles sont comment les douches océaniennes?
Des Diablesses aux Flames
C’est en 2013, sous l’impulsion de Steven Martens, alors CEO de la fédé, que les « Diablesses » prennent un gros virage marketing et le nom de « Red Flames ». « Les Diablesses, ça ne disait pas grand-chose au public », précise Katrien Jans, nommée Manager du foot féminin à l’UB en 2019. « On a voulu créer une histoire, quelque chose qui a eu besoin de temps et de résultats pour grandir. Maintenant, si on va dans la rue demander aux gens qui sont les Red Flames, bien plus de personnes savent répondre. » Notamment grâce au nouveau coup de projo mis sur l’équipe suite à la qualification pour l’EURO 2022. Une qualif’ qui ouvre la porte à des partenariats commerciaux qui permettent à leur tour d’investir dans le foot féminin, de la base de la pyramide à son sommet. Car c’est bien l’ensemble de l’édifice qui doit poursuivre sa professionnalisation, à commencer par la Super League, principal réservoir de (futures) internationales. Un championnat où seule une poignée de joueuses disposent actuellement d’un contrat pro. Franchir un cap, cela passera inévitablement par ça!
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