L'actualité est de moins en moins visible sur Facebook dans le monde. Lorenzo Di Cola/NurPhoto via Getty Images

Du Canada à la Belgique: pourquoi les articles de presse disparaissent de Facebook

Stagiaire Le Vif

Depuis un mois, les Canadiens ne peuvent plus voir les publications de presse sur Facebook et Instagram. Cette décision de blocage de nouvelles par Meta fait suite à l’adoption d’une nouvelle loi qui oblige des plateformes comme Google et Meta à payer les entreprises de presse qui y publient du contenu. Si en Belgique l’actualité est toujours disponible sur Facebook, elle est toutefois de moins en moins visible.

«Aucune publication disponible.» Au Canada, Facebook et Instagram sont devenus un désert d’information. Plus aucun article de presse n’apparaît dans le fil des utilisateurs. 

«Le fil Facebook des gens est maintenant essentiellement constitué d’informations de nos amis, constate Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et journaliste de données. Depuis un mois, on remarque aussi que les contenus viraux ne sont plus si anodins que ça. Facebook permet la diffusion de ces contenus parfois trompeurs, mais l’information vérifiée est bloquée. C’est un non-sens.»

Pour s’informer, pas le choix, il faut trouver d’autres alternatives : se rendre directement sur les sites des médias, s’informer sur d’autres plateformes comme X-Twitter ou Tik Tok, télécharger les applications des médias sur son téléphone. 

«C’est dommage parce que Facebook est parfait pour nous informer, c’était un peu ça leur promesse initiale, de savoir ce qu’il se passe autour de nous», se désole Jean-Hugues Roy.

La loi qui a tout changé pour Facebook au Canada

Cela faisait déjà plusieurs mois déjà que la menace d’un blocage des articles d’actualité sur Meta planait au Canada, mais depuis l’adoption en juin dernier de la Loi sur les nouvelles en ligne, aussi appelée Loi C-18, la menace est devenue réalité

Cette loi vise à mettre en place des négociations entre entreprises de presse et les plateformes en ligne dont le revenu mondial dépasse un milliard de dollars canadiens, et qui comptent plus de 20 millions de visiteurs au Canada par mois en moyenne. 

Les négociations ont pour but de forcer ces plateformes à donner une part de leurs revenus publicitaires aux entreprises de presse, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. La raison? Le gouvernement canadien estime que Meta et Google gagneraient 80% des revenus publicitaires en ligne du Canada, qui s’élèvent en 2022 à 14 milliards de dollars canadiens. Tandis que du côté des médias, le gouvernement souligne que «de plus en plus d’entreprises de nouvelles ferment chaque année, en grande partie à cause de la perte de revenus publicitaires.»

Depuis août, les utilisateurs de Facebook ne voient plus aucune publication de médias – Capture d’écran

Meta s’est défendu en indiquant, par voie de communiqué, que les médias publiaient volontairement leur contenu sur Facebook et Instagram. «La législation est basée sur la prémisse erronée que Meta bénéficie injustement du contenu d’actualité partagé sur nos plateformes, alors que c’est l’inverse qui est vrai.»

«Oui, c’est vrai qu’il y a de l’achalandage sur le site des médias qui est procuré par les plateformes, mais il est de moins en moins monnayable, explique Jean-Hugues Roy. Par contre, quand on regarde le chiffre d’affaires canadien de Meta, et qu’on estime que 5% sont dus au contenu journalistique, cela fait 200 millions de dollars canadiens

En Belgique, «la philosophie est la même»

Les pays de l’Union Européenne sont soumis à une directive de 2019 de «droits voisins», qui prévoit des droits d’auteurs sur l’utilisation en ligne des publications de presse. 

«Les États sont contraints à ce que les auteurs d’oeuvres intégrées dans des publications de presse aient un droit de rémunération», indique Carine Doutrelepont, avocate et professeure à l’ULB, spécialiste en droit des médias. Ainsi, les plateformes comme Google et Meta devront conclure des accords de licence avec les titulaires des droits sur les contenus mis en ligne. En Belgique, c’est la loi sur le droit d’auteur qui transpose cette directive, depuis août 2022. 

La relation entre Meta et les médias est hypertendue depuis des années, mais cela s’est aggravé ces derniers mois. Cela se traduit en réduisant la visibilité des posts des médias.

Xavier Degraux, spécialiste des médias sociaux

Selon Carine Doutrelepont, des négociations sont en cours entre les médias et les plateformes, pour déterminer une rémunération adéquate. « [Entre le Canada et l’Europe] la philosophie est la même, c’est de compenser le déficit lié à l’exploitation en ligne des contenus de presse », indique l’avocate. 

La directive est toutefois contestée également en Europe par Meta. En février dernier, Google et Meta ont introduit des recours en annulation de la loi belge sur le droit d’auteur, et notamment en ce qui a trait à la presse. 

Au Canada comme en Belgique, la presse moins visible sur Facebook

«La relation entre Meta et les médias est hypertendue depuis des années, mais cela s’est aggravé ces derniers mois, note le spécialiste des médias sociaux Xavier Degraux. Cela se traduit en réduisant la visibilité des posts des médias.»

En d’autres termes, les posts avec des liens externes publiés par les médias apparaissent de moins en moins sur le fil des utilisateurs de Facebook. «Je constate que ces derniers mois, il y a environs 30% moins de trafic sur les sites d’infos qui vient des réseaux sociaux, en comparaison à l’année dernière, ajoute Xavier Degraux. C’est une situation catastrophique pour certains médias belges.» 

En Belgique, Facebook reste une source importante d’information. Selon les observations du Reuters Institute for the Study of Journalism, en 2023, les réseaux sociaux sont en troisième position comme source d’information chez les Belges, avec 43% de personnes qui s’y informent. Facebook est le réseau social auquel les utilisateurs ont le plus confiance pour s’informer

Mon hypothèse c’est que les gens vont finir par se fatiguer d’un Facebook dans lequel il n’y a plus d’information.

Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Pour le spécialiste des réseaux sociaux Xavier Degraux, plusieurs avantages poussent Meta à appauvrir la visibilité des médias sur sa plateforme: moins de redirections vers un site externe, moins de modération, moins de nouvelles anxiogènes qui peuvent nuire à la publicité. 

Un nouveau pas a été franchi mercredi dernier, alors que Meta a annoncé la fin de Facebook News en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. L’argument de cette fin de service était simple : « Les actualités représentent moins de 3 % de ce que les internautes du monde entier voient dans leur fil Facebook ».

Meta le grand gagnant?

Depuis le blocage des nouvelles au Canada, plusieurs médias connaissent une baisse des visites sur leur site web. Ces derniers continuent toutefois, pour la plupart, de poster leur contenu sur Facebook et Instagram, des contenus qui ne peuvent être vus que hors du pays. 

«Meta ne dépend plus des producteurs de contenu de type info», remarque Xavier Degraux. Pour Facebook, le blocage des nouvelles n’a pas eu d’impact majeur au mois d’août sur les visites de la plateforme au Canada, selon Reuters qui a demandé à deux firmes analytiques de traquer les données du site. Pour le média allemand, cela peut s’expliquer par le remplacement progressif au fil des années des nouvelles d’actualités sur Facebook par du contenu plus léger, comme du sport, de la mode et du divertissement. 

Selon Jean-Hugues Roy, ces chiffres sont toutefois à relativiser. « C’est un peu tôt encore pour faire ces prévisions », souligne-t-il, en ajoutant qu’à terme, Facebook pourrait finir par perdre des utilisateurs. « Mon hypothèse, c’est que les gens vont finir par se fatiguer d’un Facebook dans lequel il n’y a plus d’information.» 

L’inquiétude plane aussi du côté de Google, qui menace également de bloquer les nouvelles au Canada. Ce geste pourrait avoir des répercussions plus graves pour les entreprises de presse, qui ne seront alors plus référencées sur la plateforme. Pour l’instant, Google a déclaré à Radio-Canada qu’il examinait les règlements sur l’application de la Loi C-18, publiés le 1er septembre dernier par le gouvernement canadien, avant de prendre une décision. 

En Belgique, la situation est différente avec le géant américain. En avril dernier, l’entreprise annonçait le lancement de son service d’actualités «News Showcase». Il vise à mettre en avant une sélection d’articles d’actualités de médias belges partenaires. Le service promet aussi une rémunération des entreprises de presse. 

Pour Xavier Degraux, les médias devront à l’avenir changer leur approche des réseaux sociaux. «L’enjeu, c’est de retrouver le lien direct avec les utilisateurs, en travaillant sur le trafic direct, les moteurs de recherche, les newsletters et le mailing.»

Lila Maitre

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire