Marco Van Hees
Voici le discours que le roi Philippe devrait tenir lors de sa visite au Congo (carte blanche)
Marco Van Hees (PTB) propose ci-dessous le discours que le roi Philippe devrait, selon lui, légitimement tenir lors de sa visite au Congo, qui a débuté ce 7 juin.
« Chers citoyens congolais,
Il y a deux ans, dans un courrier à votre président, je soulignais les « réalisations communes » de notre histoire, tout en exprimant mes regrets à propos d’ « actes de violence et de cruauté » de l’époque de l’État indépendant du Congo, ainsi que « des souffrances et des humiliations » causés durant la période coloniale qui a suivi.
Aujourd’hui que je suis présent dans votre pays, je désire vous présenter formellement mes excuses en précisant clairement que ces exactions n’étaient en rien les dégâts collatéraux d’une quelconque mission civilisatrice. Longtemps ma famille a refusé de le reconnaître, mais je dois en convenir maintenant : le colonialisme est par essence une entreprise de domination et d’exploitation, qui se réalise toujours par l’exercice de la violence. Une violence sanglante et raciste, qui considère que la vie des populations locales importe peu. Une violence qui est la négation même du mouvement Black Lives Matter.
Le colonialisme poursuit avant tout un but économique. Enrichir l’élite belge et de grandes sociétés tels la Société générale de Belgique, le Groupe Bruxelles Lambert ou l’Union minière : tel était le dessein. Léopold II, le frère aîné de mon-arrière-arrière-grand-père Philippe, était lui-même guidé par cette ambition de puissance et d’enrichissement en s’appropriant, en tant que patrimoine personnel, un territoire 76 fois plus grand que la Belgique et en imposant sa dictature meurtrière à ses habitants. Chaque fois que je passe devant sa statue, à côté du Palais royal, je ne peux m’empêcher de penser aux très nombreuses victimes – plus d’un million de pertes humaines, selon les estimations prudentes – de ce crime de masse qu’a été l’épopée de l’État indépendant du Congo. Mais la période qui a suivi, sous le Congo belge, a gardé les mêmes fondements d’exploitation, de domination, de répression, de racisme.
N’en veuillez pas à la population belge : elle subissait elle-même – dans des conditions certes différentes – l’exploitation et la répression aux profits des mêmes grands groupes industriels et financiers
Sans le vol massif de vos terres et de vos richesses naturelles, sans le travail forcé de vos ancêtres, de grandes familles capitalistes ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui en Belgique. N’en veuillez pas à la population belge : elle subissait elle-même – dans des conditions certes différentes – l’exploitation et la répression aux profits des mêmes grands groupes industriels et financiers. Des groupes dont ma famille était actionnaire.
Mon oncle, le roi Baudouin, n’acceptait pas l’indépendance. Du moins une véritable indépendance telle que Patrice Emery Lumumba la revendiquait. Un Congo dont les dirigeants congolais n’obéiraient plus aux intérêts du grand capital belge était inconcevable pour Baudouin. C’est la raison pour laquelle il haïssait Lumumba.
L’assassinat de ce dernier, votre premier Premier ministre démocratiquement élu, ainsi que les actes de guerre ayant tué un grand nombre d’indépendantistes congolais, visaient à maintenir une domination néo-coloniale derrière le paravent d’une indépendance formelle. L’État belge doit reconnaître sa responsabilité sans ambiguïtés dans ces crimes.
Je dois vous dire ma honte de constater que c’est seulement après ma visite que les restes de votre héros national seront transférés dans votre pays, soit 61 ans après son assassinat. Avec le risque que ce transfert soit un événement anodin et surtout, que l’on taise le message anticolonial et la quête de souveraineté qui caractérisaient la pensée et l’action de Lumumba.
Durant ces six décennies qui nous sépare de l’indépendance, la situation dans votre pays ne s’est pas améliorée. La politique de la Belgique et de l’Occident s’est employée à maintenir l’Afrique dans sa condition de livreur de matières premières bon marché. Au Congo, cette politique a consisté à vous imposer la dictature néocoloniale de Mobutu, qui a fait plonger votre beau pays plus bas encore dans l’enfer. Ensuite, deux décennies de guerre et de chaos ont maintenu votre pays dans les conditions qui sont les vôtres aujourd’hui. Vous êtes victimes d’avoir un pays si riches en matières premières aiguisant l’appétit de puissants intérêts économiques.
Restituer ces injustices immenses est un défi énorme. Il ne s’agit pas de vous donner en cadeau quelques dizaines de pièces d’art. Il s’agit de reconnaître votre souveraineté et votre indépendance, votre droit au dédommagement pour les vols et les injustices du passé. La construction d’une économie à part entière qui vous permettra de vivre une sécurité alimentaire, de bénéficier de conditions de vie dignes, de soins de santé, d’un système d’enseignement de qualité : tel est le défi pour les années à venir. Vous n’atteindrez pas ce but grâce à nos prétendus aides et conseils, mais à travers le chemin que vous vous tracerez vous-mêmes.
Quant à cet État belge dont je suis le chef constitutionnel, il doit en finir avec le paternalisme raciste , avec les injonctions, avec les ingérences envers votre pays sur les questions politiques et économiques. Trop souvent, et encore il n’y a pas si longtemps, des ministres belges des Affaires étrangères ont fait preuve d’ingérence et se sont érigés en donneurs de leçons, comme s’ils avaient oublié que le Congo n’est plus une colonie…
Ce sont de véritables relations d’égal à égal entre nos peuples qu’il nous faudra construire. »
Marco Van Hees
Député fédéral PTB
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