François-Xavier Druet
Tyran, un job si peu attirant (carte blanche)
Les tyrans, qui semblent de plus en plus nombreux à travers le monde étant donné le nombre de leaders d’extrême droite élus, sont-ils heureux ? Pas forcément. Petite plongée philosophique dans la Grèce antique pour s’en convraincre. Toute ressemblance avec des personnages existants ne serait pas fortuite.
Dans bien des régions du monde, les idées et les pratiques d’extrême droite semblent (re)trouver vigueur et attirer des ouailles de plus en plus nombreuses. Même des régimes réputés démocratiques se choisissent comme dirigeants, par élection, des autocrates déclarés ou mal déguisés. Le métier de tyran est (re)devenu branché et ne souffre d’aucune pénurie. Comment vivent les professionnels du secteur ? Oserions-nous un brin d’empathie à leur égard et nous demander s’ils sont heureux d’être ce qu’ils sont et de faire ce qu’ils font ?
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La Grèce antique s’impose comme experte en la matière. Le nom – en grec turannos – et la fonction y sont apparus. Pourquoi dès lors ne pas interroger les Grecs aussi sur le moral des tyrans ?
Une oeuvre peu connue de l’historien Xénophon, intitulée Hiéron, nous répond volontiers. Un poète né au VIe siècle avant notre ère, Simonide de Céos, entame avec Hiéron, tyran de Syracuse, un dialogue de type socratique. Simonide prétend que la vie du tyran est enviable par comparaison avec celle des simples particuliers. Hiéron n’est pas de cet avis et multiplie les contre-exemples.
« Comment veux-tu, dit-il, que le tyran se réjouisse de n’entendre dire aucun mal de lui, alors qu’on sait très bien que tous les silencieux préféreraient le voir mort ? Et quel plaisir aurait-il à s’entendre encenser alors qu’il perçoit là une basse et hypocrite flatterie ?
Si la paix est un grand bienfait pour les hommes, c’est le tyran qui en jouit le moins. Et si la guerre est un grand mal, c’est à lui qu’en revient la responsabilité et la plus grande part. Partout, le tyran est en pays ennemi, obligé de s’entourer de gardes du corps. Mais c’est lorsqu’il rentre dans sa propre ville qu’il est aux prises avec le plus d’ennemis. Il a beau franchir les portes de son palais, il n’est pas à l’abri du danger. Il ne connaît aucune trêve qui lui assurerait la tranquillité. Il n’a pas non plus la satisfaction de voir grandir sa cité, tant il doit éliminer d’ennemis, de traîtres et de conspirateurs.
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Pour le simple citoyen, la patrie est une garantie et une sûreté. Pas pour le tyran : les États rendent de grands honneurs aux tyrannicides et leur élèvent des statues, au lieu de leur interdire de participer à la vie sociale. Pour le despote, tous les jours sont jours de guerre : ou il entretient une armée ou il périt.
Aussi bien que tout citoyen, le tyran connaît les hommes de valeur, honnêtes et justes. Mais plutôt que de les admirer, il en a peur. Ils pourraient tenter un coup de force en faveur de la liberté. Le peuple pourrait vouloir les choisir comme dirigeants. Alors le tyran supprime de tels hommes. Il ne lui reste à employer que les scélérats, les débauchés, les lâches. Au lieu de les valoriser, il est contraint de rabaisser les citoyens, car plus ses sujets sont pauvres, plus il espère les voir soumis.
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Quels que soient le nombre et la solidité de ses hommes de main, il ne peut espérer écraser ses opposants. Car il sait qu’il a pour ennemis tous ses sujets. S’il les met à mort ou les emprisonne tous, sur qui régnera-t-il ?
Ajoute à cela que le tyran ne peut se démettre de son pouvoir. Comment rembourser ceux qu’il a volés ? Combien d’années de prison compenseraient celles qu’il a ordonnées ? Combien de vies lui faudrait-il avoir pour les rendre à tous ceux qu’il a tués ? »
Que conseiller pour remonter le moral à cet infortuné tyran ? Simonide ne l’invite pas à abdiquer. Il veut lui apprendre à user autrement de son autorité, en chargeant d’autres que lui des actions impopulaires, en se réservant les gratifications, en faisant de son armée à la fois une sauvegarde de la sûreté intérieure et une protection face aux États voisins. Ici ressurgit la vision politique de Xénophon. Il n’a pas que des sympathies pour la démocratie et reconnaît les mérites des pouvoirs forts à condition qu’ils soient tempérés par un humanisme chez leurs détenteurs.
Imaginons maintenant, entre deux interlocuteurs plausibles du XXIe siècle, un dialogue, postsocratique et contemporain, sur les états d’âme d’un tyran moderne. Le propos antique ne resterait-il pas pertinent presque à tous points de vue ?
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