Joseph Ndwaniye
Se souvenir en se construisant
Comment faire pour ne pas tomber dans la banalisation et l’oubli du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994? Un exemple de résilience.
Cette année, le Rwanda commémore les 30 ans du génocide perpétré contre les Tutsis. D’avril à juillet 1994, il a emporté près d’un million de personnes innocentes. Les cérémonies du mois d’avril sont éprouvantes, et elles furent particulièrement intenses cette année à l’occasion du trentième anniversaire de ces terribles atrocités. Pendant cette période, de nombreux reportages sont réalisés. Des récits et des témoignages déchirants des rescapés ont été écrits au fil du temps et continuent de l’être. Mais pour certains, on aurait déjà tout dit et tout entendu sur l’horreur. Comment faire pour ne pas tomber dans la banalisation et l’oubli de ce qui est l’un des plus grands génocides du XXe siècle? Au Rwanda, on a compris qu’il est essentiel de maintenir la mémoire vivante à travers l’éducation, la commémoration annuelle, la documentation historique, les musées et les mémoriaux, ainsi que par des initiatives de sensibilisation des jeunes générations pour prévenir la répétition de telles atrocités.
Aucune partie du territoire n’ayant été épargnée, des mémoriaux aux victimes ont été érigés dans chaque région, district, province, jusqu’aux plus petites entités administratives (secteur et cellule). Le souvenir des victimes du génocide contre les Tutsis ne s’arrête pas au mois d’avril. Les cérémonies de commémoration se déroulent pendant trois mois à la date choisie par les habitants de chaque entité, souvent en fonction de la période où les massacres ont été au plus fort de leur intensité. Pendant ces moments, les rescapés partagent leurs témoignages sur ce qu’ils ont subi, parfois avec des remords d’avoir échappé à la mort alors que le reste de leur famille a été décimée. Cette année, lors de mon séjour au Rwanda, j’ai eu l’opportunité d’assister à l’une de ces commémorations dans un village où la famille d’un proche s’est fait assassiner. Malgré les 30 années passées, pour les rescapés, les souvenirs des atrocités sont encore vivaces. Pour eux, le génocide a eu lieu hier.
«C’est un rappel poignant de la responsabilité collective à prévenir le génocide.»
J’ai été secoué par chaque témoignage parfois raconté des milliers de fois, mais nécessaire. Un moment particulièrement éprouvant pour les habitants. Pour eux, il s’agit d’une épreuve douloureuse qui nécessite une force inimaginable. Chaque récit est comme une lame qui transperce le cœur, rappelant la cruauté indicible qui a traversé le pays. Pourtant, au milieu de cette douleur insoutenable, j’ai ressenti l’émergence d’une résilience du peuple rwandais. Une force puissante qui se manifeste dans la dignité avec laquelle il se relève, et s’engage à construire un avenir meilleur. En participant à cette commémoration, j’ai éprouvé un mélange complexe d’émotions: une immense tristesse pour les vies perdues et l’espoir des survivants pour un avenir où de tels horreurs ne doivent plus jamais se reproduire. C’est un moment de profonde introspection, où les Rwandais honorent la mémoire des victimes du génocide et s’engagent à œuvrer pour la justice et la réconciliation. C’est aussi un rappel poignant de la responsabilité collective à prévenir le génocide et à promouvoir la paix. Ces commémorations du génocide contre les Tutsis sont bien plus qu’un devoir pour chacun, c’est un acte de résistance contre l’oubli, un hommage aux victimes, et un engagement envers un avenir où la dignité humaine passe avant tout. Se souvenir en se construisant, tel est leur moteur au pays des mille collines.
Joseph Ndwaniye est infirmier et écrivain.
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