Anne-Sophie Bailly
Pourquoi le métier d’enseignant doit devenir un métier comme un autre
Ce sera tout l’enjeu de la réforme de l’enseignement: offrir une nouvelle dimension au métier d’enseignant. Pour qu’il devienne un métier comme un autre.
«Un coup de poignard dans le dos», «une provocation», «on touche à l’essence de la fonction publique». Les syndicats n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer le projet de réforme de l’enseignement exposé dans la Déclaration de politique communautaire (DPC) de la Fédération Wallonie-Bruxelles. «On prend enfin en compte nos préoccupations», rétorquent les jeunes profs qui enchaînent contrats temporaires et périodes de remplacement. «Il faut améliorer le niveau de notre enseignement et régler le problème de pénurie», avance la coalition Azur. Les avis tranchés s’opposent, augurant des discussions tendues en salle des profs comme dans le panel que la ministre de l’Education, Valérie Glatigny (MR), veut installer pour traduire en mesures concrètes les déclarations d’intention. Et faire du métier d’enseignant un métier comme les autres. Car c’est bien là l’un des objectifs poursuivis par cette réforme majeure.
La coalition précédente avait déjà posé un premier jalon en ce sens, en tentant d’instaurer un processus d’évaluation du corps enseignant qui avait suscité levées de boucliers et grèves régulières. Pourtant, pour quelles raisons un travailleur qui exerce son métier dans un cadre défini ne pourrait-il pas être évalué sur ses prestations? Pourquoi devrait-il craindre l’arbitraire ou le copinage qui en découlerait? Pourquoi sa pratique professionnelle ne devrait-elle pas faire l’objet d’un bilan régulier? Pourquoi ne pourrait-on pas mesurer ses réalisations dans une approche qui prend en compte des objectifs collectifs et individuels? Pourquoi le résultat de cette évaluation ne pourrait-il pas se traduire en formations, sanctions ou gratifications? Comme dans la plupart des autres métiers.
«Ce sera l’enjeu de la réforme: offrir une nouvelle dimension au métier d’enseignant.»
Aujourd’hui, c’est la perspective de voir le processus de nomination passer à la trappe qui suscite le plus d’opposition dans les rangs syndicaux, argumentant que le «dernier avantage de la fonction» disparaîtrait et que l’attractivité du métier en pâtirait. Pourtant, pourquoi un contrat à durée indéterminée serait-il à rejeter s’il permet d’offrir plus rapidement un emploi stable à une jeune recrue prometteuse? S’il gomme les inégalités actuelles de traitement? S’il rend plus transparents les critères d’accessibilité à un temps plein? Et pourquoi ne pourrait-on pas rompre un contrat qui lie un travailleur à son employeur en cas de manquements ou de dysfonctionnements? Comme dans la plupart des autres métiers.
A ces interrogations, les partisans du statu quo rétorqueront que la fonction publique répond à d’autres règles que le secteur privé. Que la pénibilité du travail justifie ces droits acquis. Que le métier n’attire plus que par la stabilité qu’il propose. Mais alors pourquoi ne pas objectiver cette pénibilité décriée? Pourquoi ne pas gratifier davantage un enseignant dont les qualifications sont particulièrement recherchées? Pourquoi ne pas récompenser justement la motivation ou l’implication plutôt que de sanctuariser la linéarité actuelle d’une carrière? Comme dans tout autre métier.
Ce sera tout l’enjeu de ce chantier potentiellement explosif: offrir une nouvelle dimension au métier d’enseignant. Ce sera aussi tout la difficulté de cette indispensable réforme: le faire dans une Fédération Wallonie-Bruxelles financièrement exsangue.
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