Sébastien Boussois
Pourquoi la reine Elizabeth est un symbole universel (carte blanche)
« Soyons clairs : la reine est immortelle, elle était déjà intemporelle. C’est une page de l’histoire qui se tourne à l’heure de l’obsolescence programmée des dirigeants politiques du monde entier », écrit le chercheur Sébastien Boussois.
Bien que les deux plus vieilles monarchies du monde soient celles du Maroc et du Japon, et la plus ancienne d’Europe celle du Danemark, c’est la couronne britannique et la Grande-Bretagne qui font encore le plus rêver et suscitent la fascination non seulement des concitoyens britanniques mais, au fond, du monde entier.
Chaque année, des millions de touristes attachés aux symboles et aux lieux de son histoire défilent à Londres, à Westminster, à Windsor, à Kensington et dans tant d’autres symboles de la monarchie. On peut être critique, on peut être républicain, on peut être pour la fin de celle-ci, les hommages qui ont plu jeudi à l’annonce de la mort de la reine Elizabeth II montrent qu’elle était, quelque part, la grand-mère de toutes ces personnes affectées par sa disparition. Elle était ce pilier et ce lien avec l’histoire du siècle passé.
Elle a rencontré les plus grands dirigeants du monde de l’après-guerre et restera dans l’histoire mondiale à ce jour comme la détentrice du plus long règne de l’histoire derrière Louis XIV. Sa popularité, son fils et successeur, Charles III, n’est pas prêt de l’acquérir aussi vite. Au-delà de certaines affaires, de Diana, de Camilla, Charles devra devenir cette digue qui protège l’archipel quels que soient les évènements tragiques à venir dans le pays.
Avec une carapace incroyable, la reine Elizabeth II a tout traversé : crises mondiales, crises politiques internes, crises familiales, pandémie, Brexit. Parce que, justement, elle ne dirigeait pas, elle pouvait s’élever au-dessus de toutes les contingences pour régner, inspirer, rassurer sans prendre les coups : quelque chose de divin, n’ayant d’ailleurs pas été cheffe de l’église anglicane pour rien tout le long de son règne, ce qui était prévu dans ses fonctions, mais qui lui donnait déjà une aura mystique.
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La monarchie fait rêver et bien que leur monarque favorite soit décédée, les Britanniques et les membres du Commonwealth se souviendront longtemps de cette reine qui porta l’âme de son pays pendant 70 ans. Tous les dirigeants de cette aire géopolitique couvrant deux milliards d’individus ont salué avec tristesse la mémoire de la reine. Et de l’Ecosse à l’Irlande, et au Pays de Galles, le Royaume-Uni a été plus uni en une journée que ces vingt dernières années.
Elizabeth II pèsera encore longtemps sur le règne à venir de son fils qui devra trouver sa place et apprendre comment devenir populaire
Canonisée avant l’heure, par ce qu’elle était, ce qu’elle a fait, ce qu’elle a porté et représenté, Elizabeth II pèsera encore longtemps sur le règne à venir de son fils qui devra trouver sa place et apprendre comment devenir populaire. Ce ne sera pas chose aisée. Ce n’est impossible pour personne, même pour elle, à qui on avait reproché sa froideur et son apparente indifférence à la mort de la princesse Diana en 1997. Elle s’était beaucoup rattrapé depuis, le privilège de l’âge, des cheveux blancs et de la sagesse aidant. L’attrait pour la couronne et pour la Grande-Bretagne est planétaire et protégera quelque part un peu Charles III.
Car les symboles sont nombreux : le drapeau de l’Union Jack par exemple est devenu, au-delà du symbole et de son rôle, un objet de fantaisie, de mode, qu’on arbore pour être tendance et à la mode. On en est fier, on l’aime. Ce drapeau n’a jamais été démodé, son utilisation est constamment renouvelée à des fins esthétiques. Alors que l’on hésiterait à porter des vêtements arborés d’un autre drapeau, celui-ci est populaire et une œuvre d’art en soi. Comme la reine avec ses robes et ses chapeaux : quel autre dirigeant dans le monde a eu autant de classe et de distinction à travers les âges et les couleurs de la vie ?
Mais pas que : la monarchie a rendu accessible son patrimoine, ses lieux de vie et de résidence et ce sont des millions de touristes qui visitent chaque année Windsor, le château préféré de feue Elizabeth, Kensington, Balmoral où s’est éteinte la reine. Le merchandising mis en place par la Couronne s’arrache chaque année lui aussi et lui rapporte des milliards : vaisselle, produits alimentaires, magasins de luxes fournisseurs officiels de la Cour, et tant d’autres souvenirs que l’on rapporte d’un voyage en Grande -Bretagne. Les produits officiels du Jubilé en juin dernier se sont vendus par millions, de la tasse officielle, à la vaisselle, en passant par les biscuits officiels, les confitures, le thé, et tant d’autres délicatesses.
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Soyons clairs : la reine est immortelle, elle était déjà intemporelle. C’est une page de l’histoire qui se tourne à l’heure de l’obsolescence programmée des dirigeants politiques du monde entier, à l’heure où les dirigeants ne peuvent plus hélas représenter un pilier de stabilité, de réconfort, d’affection, et d’amour. Les pleurs et les larmes des Britanniques depuis hier soir ont prouvé à quel point nous sommes tous en recherche d’élites éclairées, de dirigeants inspirés et inspirants, d’un grand-père ou d’une grand-mère, père ou mère de la nation. C’est cela qui rend la Grande-Bretagne plus forte que jamais quoi qu’en disent les oiseaux de mauvais augure depuis des années. God save the queen, espérons que God save the King !
Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism)
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