Anne-Sophie Bailly
Pourquoi il faut laisser pousser les pissenlits dans nos jardins
L’opération En mai, tonte à l’arrêt est l’occasion de réfléchir au rapport que les sociétés occidentales entretiennent avec les jardins et avec la nature dans son ensemble.
Et de trois. Le Vif lance la troisième édition de sa grande opération «En mai, tonte à l’arrêt». Pour rappel, le principe en est simplissime: pendant un mois, toutes les personnes, les entreprises ou les collectivités (communes, écoles, asbl…) qui disposent d’un espace vert privé sont invitées à ne pas tondre une partie de leur pelouse. L’objectif est de contribuer à la sauvegarde de la biodiversité en laissant à la nature le temps de reprendre ses droits. En effet, les parties de jardins laissées à leur développement propre permettront d’accueillir des plantes indigènes et offriront un maillage écologique nécessaire aux insectes pollinisateurs.
Ne rien faire pendant un mois si ce n’est laisser les brins d’herbe pousser, les pâquerettes se déployer et observer le retour des papillons et des abeilles. Quatre nécessaires semaines de répit pour la tondeuse et la nature.
Mais dès début juin, au boulot! Il faudra compter les boutons d’or, le trèfle rampant et les myosotis qui, à la faveur de cette période de non-tonte, auront essaimé dans les pelouses et reporter leur nombre sur la plateforme BioPlanner. Etape incontournable et fondamentale car les données ainsi récoltées servent de base aux partenaires du Vif, la faculté de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) et l’asbl Adalia 2.0, pour établir un état des lieux le plus complet possible de la flore présente dans nos jardins. Des données difficiles à collecter pour des équipes scientifiques mais essentielles pour établir «l’indice Nectar», un score de soutien à la biodiversité exprimé sous la forme du nombre d’abeilles, de papillons et d’autres insectes indispensables ayant pu se nourrir grâce aux parcelles non tondues. Plus de dix mille jardins ont déjà participé à l’opération, soit un million de mètres carrés de gazon non tondu, pour un «indice Nectar» ayant permis le développement de 400 millions de larves d’abeilles solitaires.
Pourquoi un jardin «bien entretenu» est-il nécessairement coupé à ras?
Chaque mètre carré non tondu compte donc.
Outre l’intérêt scientifique de l’opération EMTA, ce non-interventionnisme est également l’occasion de réfléchir au rapport que les sociétés occidentales entretiennent avec leurs espaces verts privés, et avec la nature dans son ensemble. Pourquoi un jardin qualifié de «bien entretenu» est-il nécessairement celui dont l’herbe est coupée à ras? Pourquoi voyager pour découvrir une végétation luxuriante, jugée inacceptable en bord de terrasse? Pourquoi se réjouir de voir, au printemps, fleurir les azalées et les forsythias mais déclarer la guerre aux pissenlits considérés comme laids et envahissants? Pourquoi semble-t-il compliqué de cohabiter avec les bourdons, alors que des chemins de traverse sont créés pour les grenouilles? Pourquoi ce besoin de contrôler autant les espaces verts? Pourquoi est-il si difficile de lâcher prise face au vivant?
Les réponses à ces questions sont multiples et souvent ancrées dans un passé historique commun. C’est aussi cela que l’opération En mai, tonte à l’arrêt propose: repenser le rapport entre l’homme et la nature. Cela commence dans son propre jardin. Propre et un brin sauvage.
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