Carte blanche
Pour avancer ensemble, plutôt que de reconstruire, misons sur la réconciliation
Pourquoi tant de nos conflits se résument-ils à un bras de fer pour prouver qui a raison? Dans une période où nous sommes profondément clivés dans des débats sociétaux complexes, inciter les acteurs en présence à tendre la main vers leur adversaire en premier, afin de coconstruire une solution, évite de s’embourber dans le passé. La question qui importe dans un conflit n’est alors pas tant «qui a commencé», mais bien plus «qui arrêtera en premier».
Quelle partie est la plus fautive dans le conflit israélo-palestinien, à qui revient in fine légitimement la Crimée, qui est responsable pour les conflits dans des régions anciennement colonisées, à combien de tonnes de carbone s’élève la responsabilité des pays les plus industrialisés, qui des citoyens natifs ou migrants sont légitimes pour bénéficier de notre système de sécurité sociale?
Dans ces débats qui nourrissent notre quotidien, nous réfléchissons spontanément au rétablissement d’une situation telle qu’elle aurait été si certains faits ne s’étaient pas produits. Cette compréhension de la justice comme une forme de reconstruction d’une situation déchue présente des limites. Quand la recherche de restauration du passé devient un horizon en soi, nous courons à rebours de l’histoire. A force de ne penser qu’à recoller les morceaux à l’identique, nous oublions que la justice est une cause au service d’un futur vivre-ensemble pacifié.
Edmond Dantès, le Comte de Monte Cristo que nous avons admiré au cinéma les derniers mois, est la parfaite illustration de cette dynamique.[1] Bien que ce héros soit attachant de persévérance, d’intelligence et de courage, sa quête de justice entendue comme une restauration débouche sur un naufrage collectif pour tous les personnages du roman. En cherchant à remettre chaque traitre à sa place et à reconquérir sa promise, il ruine le futur de chacun.
Il est évident qu’un niveau minimal d’équité est nécessaire pour une cohabitation durable et paisible entre acteurs hostiles. C’est bien le sens des peines, dommages et intérêts décidés par les cours et tribunaux. Mais cette justice entendue comme réparation ne peut pas être un horizon en soi. L’histoire ne s’arrête pas là. La justice est avant tout au service d’un avenir commun.
Pour une réconciliation
Dans nos débats politiques en Belgique, il n’en va pas autrement. En relations internationales, nous sommes appelés à nous positionner sur la carte des guerres aux portes de notre continent. Dans notre relation avec le Congo, nous devons trouver les mesures qui permettront une réconciliation entre les communautés diverses qui constituent notre société belge. En matière environnementale, nous devons pouvoir changer collectivement nos modes de vie et dépasser l’assignation de la faute seule aux pays, sociétés ou citoyens les plus pollueurs. En matière de sécurité sociale, l’idée-même est de porter assistance aux plus vulnérables sans calculer ce que chacun a mis dans le pot.
Pour éviter que les torts du passé et la peur de l’altérité résultent en un repli sur soi, je recommande aux décisionnaires politiques belges de se doter d’une compréhension de la justice orientée vers l’avenir. Allons au-delà de la recherche de la réparation en un pristin état. Adoptons et promouvons une compréhension de la reconstruction comme une étape seulement vers une vraie justice qui soit celle d’une main tendue entre toutes les parties.
La compréhension de la justice comme étant réconciliatrice plutôt que reconstructive, c’est, finalement, toute la différence entre chercher à ce que justice soit faite plutôt que chercher à se faire justice.
Baudouin de Hemptinne
Titre de la rédaction. Titre original: Pour que la soif de justice devienne une voie de réconciliation pour le futur plutôt qu’une stérile tentative de réparation du passé à rebours de l’histoire…
[1] Alexandre Dumas, Le Comte de Monte Cristo et adaptation au cinéma par de La Patellière et Delaporte (2024)
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