Carte blanche
Nos pensions sont parmi les plus faibles d’Europe, comment peuvent-elles être impayables?
Les négociateurs fédéraux ont mis en suspens les discussions sur les pensions. Trop de pression de la base et trop de «désinformation de la part des syndicats, qui agitent la population», à en croire Peter De Roover, négociateur de la N-VA.
Dès qu’on parle des pensions, la frontière entre l’information et la désinformation est toujours floue, car nous travaillons avec des prévisions sur plus de 50 ans. Mais si quelqu’un agite la population, c’est bien le formateur lui-même.
Selon la supernote, la Belgique serait confrontée à des «défis uniques». Les coûts du vieillissement seraient «principalement liés aux coûts des pensions» et «sans changements politiques majeurs, les pensions belges risqueraient sérieusement de devenir impayables». En bref, nous devons réduire les droits à la pension. Il n’y a pas d’alternative.
Tout travailleur qui a déjà jeté un coup d’œil sur mypension.be s’interroge certainement sur ces sombres perspectives. La pension moyenne d’un travailleur est de 1.467 euros par mois. Nos pensions continuent d’être presque les plus faibles d’Europe occidentale. Alors, comment peuvent-elles être impayables?
Il existe un organisme chargé de calculer le coût du vieillissement dans notre pays, c’est le Comité d’étude sur le vieillissement. Mettons les cris d’alarme de la supernote en regard des derniers rapports du Comité d’étude sur le vieillissement et de la Commission européenne.
Dans la moyenne
Des «défis uniques»? Aujourd’hui, la Belgique consacre un peu plus de 11% de sa richesse aux pensions. C’est la moyenne de la zone euro. Cinq pays d’Europe occidentale dépensent davantage. En Belgique, les dépenses pour les pensions tendront vers un peu plus de 13% d’ici 2050. C’est toujours moins que ce que la Finlande, l’Autriche et la France investissent déjà aujourd’hui dans leurs pensions. Impayable? Comment ces pays font-ils, alors?
Dans la zone euro, les dépenses pour les pensions augmenteront en moyenne de 1% d’ici 2050. Moins dans certains pays, plus dans d’autres. En Espagne, les dépenses pour les pensions augmenteront de 4% d’ici 2050, soit deux fois plus que chez nous. En Slovaquie, de 3%, au Portugal, de 2,5%. L’affirmation selon laquelle la Belgique serait confrontée à des «défis uniques» est donc fausse. Le vieillissement est un défi pour l’ensemble du monde industrialisé.
«Les coûts liés au vieillissement sont principalement liés aux coûts des pensions»? Là encore, le Comité d’étude sur le vieillissement est clair. Ce ne sont pas les pensions, mais les dépenses de santé qui augmenteront le plus d’ici 2050 (et 2070). Si une partie du surcoût des soins de santé est liée au vieillissement, une partie importante ne l’est pas. Dans son rapport annuel, le Comité établit une distinction entre les soins chroniques et les soins aigus. Les soins chroniques, en particulier, sont liés au vieillissement et représentent un quart des dépenses (un tiers d’ici 2050).
Dans la zone euro, les dépenses pour les pensions augmenteront en moyenne de 1% d’ici 2050.
Cela nous amène à la discussion sur le financement de notre système de soins de santé, avec les dépenses excessives liées aux suppléments d’honoraires des spécialistes, aux médicaments hors de prix de Big Pharma et à la médecine à la prestation de l’industrie médicale. Ceux-ci pompent des milliards hors de notre système de sécurité sociale. Avec les mesures que nous proposons –l’introduction du modèle kiwi sur les médicaments brevetés et la réduction des suppléments d’honoraires excessifs et de la médecine à la prestation–, nous pouvons économiser deux milliards par an.
«Sans changements politiques majeurs, les pensions belges risqueraient sérieusement de devenir impayables»? Les retraités représentent aujourd’hui un peu plus d’un cinquième de notre population, et les pensions un peu plus d’un dixième de notre richesse annuelle (PIB). Ces chiffres évolueront pour devenir un quart de notre population et un huitième de notre PIB. Est-ce payable? Bien sûr que oui. Six pays d’Europe occidentale investissent déjà aujourd’hui un huitième ou plus de leur PIB dans les pensions.
Des pensions payées par nos salaires
Ce ne sont pas les dépenses, mais les revenus qui constituent la plus grande menace pour pouvoir payer nos pensions. Les pensions sont payées par les cotisations sociales sur nos salaires. Il s’agit d’une sorte de salaire différé. Mais les gouvernements successifs ont furtivement sapé ce salaire différé. Les administrateurs de la sécurité sociale ont déjà tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Les cotisations patronales font comme les calottes polaires: elles fondent.
Voulons-nous une société où les personnes âgées peuvent vivre dans la dignité?
Selon le Bureau du Plan, les exonérations, les réductions des cotisations patronales pour la sécurité sociale et les subventions salariales représentent déjà 16 milliards d’euros par an. Ce chiffre passera à 18 milliards d’ici 2029. Cela représente près de 3% de notre PIB, soit plus que l’augmentation des coûts des pensions en pourcentage du PIB pour les 25 prochaines années. Les réductions de cotisations et les subventions salariales vont très loin en Belgique. Dans un pays comme l’Autriche, où les pensions légales sont supérieures d’un tiers et où les hommes peuvent encore prendre leur retraite à 65 ans et les femmes à 60 ans, les cotisations sociales sur les salaires sont plus élevées et n’ont pas été systématiquement réduites.
Le processus de vieillissement s’étend sur de nombreuses années. Cela pose de sérieux défis. Nous y associons une vision à long terme qui protège les salaires différés et combat le ver qui ronge la sécurité sociale. C’est une question de choix. Voulons-nous une société où les personnes âgées peuvent vivre dans la dignité? Voulons-nous répartir plus équitablement les richesses et renforcer la solidarité? La réponse à ces questions déterminera l’avenir de notre système de pension.
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