Juliette Debruxelles

Nos enfants putes: échange petits travaux contre exploitation sexuelle

Petits travaux, courses alimentaires ou effacements de dettes feraient partie de ce qui s’échange contre l’anéantissement d’un enfant, contre son exploitation sexuelle.

C’est devant nous et c’est à vomir. Ça porte même un nouveau nom depuis la réforme du droit pénal sexuel entrée en vigueur le 1er juin 2022. Les termes «exploitation sexuelle de mineurs dans la prostitution» ont remplacé ceux de «prostitution enfantine» ou de «prostitution de mineurs» dans le Code pénal belge. Ce que c’est? L’utilisation d’un enfant à des fins d’actes sexuels, en échange ou en promesse d’une compensation financière ou d’autres formes de bénéfices. Alerte au sordide: petits travaux, courses alimentaires ou effacements de dettes feraient partie de ce qui s’échange contre l’anéantissement d’un enfant. Des «avantages» directement offerts à la victime ou à une tierce personne. Voilà. Il s’agit de ça. On peut se dire que ces jeunes-là ne sont pas les nôtres. S’imaginer des gamines postpubères vulgaires, consentantes et un peu délurées «gagnant» de l’argent de poche en vendant leur fraîcheur à des vieux dégueulasses déguisés en gentils. On peut se figurer des jeunes accros à toutes sortes de drogues réglant leur consommation en se bradant aux abords de gares glauques. On peut étiqueter «âmes perdues» sur la boîte de déni que l’on referme sur ces filles, ces garçons, ces personnes en transition, belges ou pas, d’ici ou de là-bas. On peut.

Mais réel ou virtuel, cet enfer existe et dévoile les failles béantes de notre système de protection des plus vulnérables. En Belgique, silence statistique. Mais l’an dernier, une étude réalisée par Fanny Procureur pour ECPAT Belgique, en partenariat avec Défense des enfants international Belgique, et financée par la Fédération Wallonie-Bruxelles tentait de combler ce vide. Avec des constats et témoignages flippants, comme celui de l’âge de jeunes filles prostituées qui débuterait à 13 ou 14 ans.

Précarité étudiante, transfert de l’exploitation sexuelle vers des sphères plus invisibles (notamment en ligne ou dans des appartements privés loués sur des plateformes comme Airbnb) rendent la détection et la prévention complexes. L’exploitation, autrefois majoritairement visible dans des lieux publics ou des cercles bien définis, migre désormais vers des espaces plus privés et anonymes.

Derrière chaque cas d’exploitation sexuelle, se cachent un consommateur et une stratégie de manipulation.

On se doutait que les mineurs en situation de migration –souvent déjà précarisés par la crise de l’accueil– étaient les plus exposés. Mais les garçons et les jeunes LGBTQIA+ seraient également concernés et largement sous-détectés, laissant planer l’ombre d’un phénomène encore plus vaste qu’il n’y paraît. Pour nos filles, nos neveux, les enfants de nos amis, les copains de classe de nos gamins, l’ombre de l’exploitation sexuelle est une réalité.

Certaines jeunes personnes croient y aller de leur plein gré, mais derrière chaque cas d’exploitation sexuelle, se cachent de facto un consommateur et une stratégie de manipulation. Comme le grooming, un processus où un adulte cible un mineur (sur les réseaux sociaux ou dans la «vraie vie»), le manipule en ligne ou en personne, et l’amène progressivement à se soumettre à des actes sexuels. Des interactions, souvent dissimulées sous des apparences de relation amoureuse ou de camaraderie qui piègent les jeunes dans une toile d’abus psychologique. Autre phénomène inquiétant: celui des proxénètes d’adolescents. Des trafiquants qui repèrent les jeunes vulnérables –en institution, en fugue ou même issus de familles aisées– pour mieux devenir leur «référent». Le flow: manipulation émotionnelle, promesses de stabilité ou d’amour, et finalement coercition psychologique ou physique. Un contrôle souvent si puissant que les victimes, embrigadées dans une vision faussée de leur réalité, peuvent aller jusqu’à nier être exploitées…

Mais si elles n’en parlent pas, et si personne n’en parle, alors qui empêchera que leur corps serve de petite monnaie pendant des années?

Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.

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