Anne-Sophie Bailly
L’opinion publique adhère à la colère des agriculteurs. Pourtant, on est loin de Martine à la ferme
La colère des agriculteurs trouve un large écho dans l’opinion publique. Une certaine idéalisation du mode de vie paysan, véhiculée par un imaginaire du type Martine à la ferme et un marketing qui positionne yaourts et fromages industriels sur le créneau de l’authentique n’est pas étrangère à cette adhésion.
Malgré les troubles engendrés par une poignée d’émeutiers, malgré du bitume à remplacer, malgré des files à rallonge sur les routes, la colère du monde agricole ne perd pas son capital sympathie auprès de l’opinion publique. Un sondage récent indiquait que deux tiers des Belges soutenaient le mouvement. Un pourcentage qui grimpe même à trois quarts des répondants en Wallonie.
Cette indulgence n’est pas à dissocier d’une certaine idéalisation du mode de vie paysan, véhiculée depuis l’enfance par un imaginaire du type Martine à la ferme et renforcé à l’âge adulte par un marketing qui joue de cet attachement à la terre nourricière pour positionner yaourts et fromages industriels sur le créneau du sain et de l’authentique. Une idéalisation du métier aujourd’hui aussi éloignée de la réalité de l’agriculteur connecté H24 à une app pour surveiller sa salle de traite automatisée que de celle du secteur où le nombre de fermes familiales n’a cessé de s’étioler au profit de grandes exploitations agricoles.
«Pourquoi les Belges adhèrent autant à la colère des agriculteurs.»
Cette compréhension pour la colère des agriculteurs trouve également une explication dans les revendications mises en avant et qui font écho dans toutes les sphères de la société: être rémunéré justement pour son travail. Adhésion maximale à un combat garantie, à l’heure où le pouvoir d’achat reste la préoccupation numéro un des Belges.
La mise en avant d’une complexité administrative croissante est tout autant validée par la société qu’il s’agisse des médecins qui déplorent remplir plus de papiers que soigner, des architectes dont les demandes de permis mettent des mois à aboutir, en passant par le propriétaire particulier et son parcours du combattant pour obtenir une prime à la rénovation ou celui de l’indépendant pour valider un arrêt maladie. La liste est longue, le ressentiment partagé.
Si l’on ajoute à ces revendications une stigmatisation de la colère envers l’Europe – présentée comme lointaine, bureaucratique, déconnectées des réalités «des vrais gens» – et les accords de libre-échange – favorisant les producteurs étrangers à la place des locaux – le mix est parfait. C’est bien joué.
Mais c’est masquer l’autre face du combat: obtenir un assouplissement de la PAC (Politique agricole commune) et une pause environnementale, en ce compris un abaissement des seuils de toxicité et une augmentation du volume de pesticides autorisés. Sûr que ça passerait un peu moins bien dans l’opinion publique. Pourtant, ce combat-là est déjà largement gagné .
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