Thierry Denoël

Libération de Michelle Martin: sortir du cycle de la vengeance

Thierry Denoël Journaliste au Vif

La libération définitive et totale de l’ex-femme de Dutroux reste dure à avaler. Mais ne pas l’accepter revient à rejeter la justice démocratique qui est la nôtre. Pour la remplacer par quoi ?

Depuis ce vendredi 26 août, Michelle Martin est libre, sans plus la moindre condition à respecter ni la moindre surveillance. Et alors ! La libération d’autres criminel(le)s ne suscite généralement aucun émoi, sauf chez leurs victimes et leur famille, ni une seule ligne dans la presse. Même la libération d’Agnès Pandy – complice de son père pasteur dans l’assassinat sordide de six membres de leur famille – est passée quasi inaperçue, il y a douze ans, et n’a inspiré que quelques brèves dans les journaux. La libération probable, à venir, de Monique Olivier, complice de Michel Fourniret, mort en prison il y a un peu plus d’un an, fera-t-elle couler beaucoup d’encre ? Pas sûr. Pourquoi celle de Martin suscite-t-elle encore tant de commentaires, voire de polémique ?

Avoir été associée à Marc Dutroux dans ses crimes odieux entraîne un enfermement autre que carcéral, bien plus long : celui d’être classé dans la famille des « monstres », impardonnables et irrécupérables aux yeux de l’opinion publique. Comment pardonner l’enlèvement et l’assassinat d’enfants ? Marc Dutroux est le Jack l’Eventreur des Belges. Dans l’imaginaire collectif, il restera à jamais le diable en personne, une énorme cicatrice inaltérable. Rien que prononcer son nom suscite encore un certain effarement, plus d’un quart de siècle après le début de ce qui est devenu « l’affaire Dutroux ». Michelle Martin mérite-t-elle le même jugement populaire ?

Sa complicité ne fait aucun doute. La justice l’a démontré. Elle a été condamnée à 30 ans de prison pour cela et effectué un peu plus de la moitié de cette peine. Pas suffisant, est-on tenté de penser. C’est pourtant le cas de la majorité des détenus, condamnés pour délit ou pour crime, lorsqu’ils répondent à des conditions examinées plutôt sévèrement par le tribunal d’application des peines, une juridiction créée justement pour réagir aux dysfonctionnement judiciaires mis en évidence par l’affaire Dutroux. Si l’on accepte, pour la toute grande majorité des détenus, ce processus pénal qui doit aboutir à une réinsertion dans la société, pourquoi ne pas le faire pour Martin ?

Lors de la libération conditionnelle de celle-ci et des manifestations organisées autour du couvent des sœurs Clarisse qui l’avaient accueillie dans un premier temps, le vice-recteur de l’UCL Gabriel Ringlet avait déclaré dans La Libre : « Si notre société se veut encore démocratique, elle doit absolument résister à la tentation d’une justice d’exception. » C’est bien de cela qu’il s’agit. Même sous la pression qu’on peut imaginer et avec la tentation de ne lui faire aucun cadeau, les magistrats qui ont traité le dossier Martin ont certainement tendu vers le plus d’impartialité possible et ils ont respecté la loi belge. C’est cette justice-là qu’il faut louer. La rejeter reviendrait à la remplacer par la loi du talion. Œil pour œil…

Interrogé par Le Vif lorsqu’il s’est mis en tête de vouloir faire libérer Marc Dutroux, l’avocat Bruno Dayez avait expliqué que « l’Etat n’est pas censé traiter les criminels comme ceux-ci ont traité leur victime ». « Il faut sortir du cycle de la vengeance », soulignait ce pénaliste qui utilise le cas extrême du « monstre de Marcinelle » pour provoquer un débat nécessaire sur les absurdités du système carcéral qui reste une usine à récidives. Qu’on adhère ou non à sa méthode pour arriver à ses fins, Dayez a raison sur le fond : il faudrait que la libération et la réinsertion de tous les criminels et délinquants fassent davantage l’objet de l’intérêt du grand public. Et des politiques. La société a tout à y gagner. Cela n’empêche pas de réclamer que le législateur durcisse certaines règles, comme le fait Jean-Denis Lejeune dans le respect du débat démocratique.

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