Franklin Dehousse
L’Europe a besoin d’un réseau social public (chronique)
Pour contrer la désinformation qui circule sur X, l’Europe devrait créer son propre réseau social, public. Mais les obstacles juridiques et technologiques sont nombreux.
Récemment, le commissaire européen Thierry Breton a envoyé une lettre à Elon Musk, propriétaire de X, l’accusant de distribuer des messages illégaux et de la désinformation. Thierry Breton est une personne rare à Bruxelles: un commissaire efficace dans une institution qui dérive souvent ces temps-ci. Néanmoins, l’expérience montre que son initiative rencontrera de nombreux obstacles.
La procédure est longue et juridiquement complexe. Elle requiert aussi de fortes capacités technologiques, dont nos institutions ne disposent pas toujours. Sur le plan politique, l’Europe devient de plus en plus dépendante des Etats-Unis, que ce soit pour l’aide militaire à l’Ukraine, l’approvisionnement en énergie, ou encore la fourniture de services numériques.
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Les dirigeants européens se targuent d’être «le premier régulateur numérique du monde». En réalité, les grandes firmes américaines (Gafam) dominent plus le marché en Europe qu’aux Etats-Unis. De plus, pour elles, la protection des données personnelles demeure une vaste blague.
Un épisode récent confirme notre faiblesse actuelle. Quand certains responsables ont menacé Google sur son introduction de l’intelligence artificielle, la réponse fut simple: «Si vous insistez, nous ne distribuerons pas l’instrument en Europe.» Comme d’habitude, les Européens font beaucoup de bruit, pour masquer qu’ils contrôlent peu le réel.
Si la stratégie actuelle ne produit guère d’effets, il en faut une autre. La meilleure pour l’Union européenne consisterait à créer son propre réseau social, public (le cas échéant avec des partenaires privés, minoritaires, prenant des engagements précis). Certes, le concept d’opérateur public n’est pas à la mode. Il n’en reste pas moins que les traités (à l’initiative de la Belgique naguère) reconnaissent la nécessité de services d’intérêt général.
Par ailleurs, la solution a produit des résultats positifs dans le passé (chemins de fer, télévision, eau, etc.). Et il ne s’agit pas d’établir un monopole, mais une simple alternative. D’ailleurs, le projet élargirait seulement d’autres éléments d’identité numérique déjà prévus par l’Europe.
Certes, cela requiert de solides standards de gestion et d’éthique, dont les dirigeants actuels des institutions européennes paraissent en général incapables (voir les multiples scandales récents). Néanmoins, leur incapacité corrompt tout autant la régulation alternative des acteurs privés. Il suffit de voir combien, à la différence de la Chine, nous sommes devenus une colonie digitale des Etats-Unis.
Les réseaux sociaux sont devenus essentiels pour les citoyens. Surtout, pour beaucoup d’entre eux, souvent peu éduqués, ils constituent la principale, et parfois la seule, source d’information. A cet égard, les politiciens devraient observer l’ouragan actuel de désinformation sur le Moyen-Orient.
Pareil phénomène menace à présent toutes les élections. Si elle s’aggrave encore, la dégradation actuelle des réseaux sociaux mal régulés provoquera tôt ou tard une crise brutale de nos démocraties.
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