Lettre ouverte à l’Africamuseum
Monsieur le directeur, nous n’avons pas besoin d’un musée sur l’Afrique (Africamuseum), mais sur le colonialisme!
En 2018, j’avais lancé la campagne pour la restitution des biens culturels africains et pointé le manque de modernité éthique de l’Africamuseum. Aujourd’hui, en tant que partenaire décolonial du musée, c’est avec une attention particulière que j’ai lu la tribune médiatique de la politologue et auteure Nadia Nsayi. En sa qualité de responsable de la programmation culturelle à l’Africamuseum, elle dénonce le fonctionnement du musée dans sa tribune du 5 janvier 2025 dans le quotidien De Morgen. Après l’annonce de la démission de Madame Geunis, cette sortie médiatique sonne comme un énième appel au secours adressé à la direction. Elle vise à entamer une réforme du fonctionnement et des changements dans le positionnement sociétal du musée par rapport à l’histoire coloniale. La sortie médiatique de Nsayi est fracassante, le ton est dur, mais le fond est vrai.
Le contexte
En trois ans, cette Belgo-congolaise a apporté une plus-value à l’image et à la crédibilité du musée, notamment auprès d’un public diasporique qui s’est dès lors senti un peu plus en confiance. Avec la responsable du service « Publics et Partenaires » Tine Geunis, Madame Nsayi a amené au musée un public interculturel que ses collègues peuvent à leur tour – s’ils le souhaitent – attirer dans les expositions. À leur actif, notons que pour la première fois en 127 ans d’existence, elles ont mis en place un partenariat avec une association afrodescendante. Ce type d’innovation ne peut donner des résultats que si une politique cohérente ou une vision inclusive plus large est mise en œuvre.
Lors d’organisation de visites guidées féministes et décoloniales au musée, j’ai souvent eu l’impression d’un manque de cohésion entre les projets et les services, d’une absence de finalités communes permettant une cohérence de l’action globale. Cela se matérialise par un turn-over des employés et un désamour progressif du public. En effet, dans une ère post #Metoo, #climatechange et #BLM, on peut comprendre que les attentes du public se diversifient et se complexifient. Dès lors, seuls des organes et des services suffisants et bien préparés peuvent y faire face. Tout cela vous précède et il ne s’agit pas ici d’une critique ad hominem mais il apparaît que de grands espoirs se fondent sur vous pour relever tous ces défis.
Le musée de Léopold II était un organe de propagande pour encourager une ruée vers le continent africain
Des changements nécessaires
Les changements dans les relations entre l’Afrique et l’Europe, telles que les fins d’alliances entre le président Macron et des dirigeants africains, la progression toujours plus grande de la Russie et de la Chine sur le terrain africain, offre une multiplication d’interlocuteurs et aboutit à des pertes de marchés pour les Européens. Peut-être que ce cadre international impacte la place que nos politiciens belges souhaitent dorénavant laisser à l’Afrique… Je m’explique: le musée de Léopold II était un organe de propagande pour encourager une ruée vers le continent africain, mais si plus d’un siècle plus tard, l’aventure africaine ne rapporte plus suffisamment à la Belgique, l’utilité de l’actuel Africamuseum ne devient-il pas relatif et amoindri? Le musée devient un vestige des gloires passées et non un acteur de la transformation du présent. Je pense que si l’aventure coloniale ne peut plus être la raison d’être du musée, que la coopération – système héritier de la colonisation – semble s’essouffler, il est temps de réellement faire un travail décolonial.
La hantise du «décolonial»
Le « décolonial » est une hantise honnie au même titre que ses chantres. Pourtant, même les contradicteurs de l’orientation décoloniale veulent participer aux débats décoloniaux actuels. Et pour cause, aucune grande institution belge ne fait un travail d’éducation historique et décolonial malgré la demande grandissante et les carences dans les manuels scolaires. Une place est à prendre pour ce musée, une orientation reste à donner, une incarnation par des employés et des co-décideurs afrodescendants est indispensable pour y parvenir. L’enjeu est de donner une nouvelle utilité sociétale à l’Africamuseum vis-à-vis des contribuables.
Les orientations politiques actuelles ne vont bien évidemment pas dans ce sens, mais peut-être faut-il dès lors rappeler que le contraire du «décolonial», c’est le «colonial» et que le contraire d’«inclusivité» des afrodescendants, c’est la «discrimination». Or, toutes deux – colonisation et discrimination – sont interdites par les lois belges; aucune orientation politique n’est au-dessus des lois.
Aucune grande institution belge ne fait un travail d’éducation historique et décolonial malgré la demande grandissante et les carences dans les manuels scolaires
Concrètement, qu’est-ce que décoloniser veut dire?
Dans mon entendement, pour l’Africamuseum, décoloniser veut dire (1) partager le pouvoir en mettant fin à cette flagrante discrimination à l’emploi des Noir(e)s au musée qui contribue à la mise à distance de la diaspora associative en général. Il en résulte notamment un accaparement du pouvoir par des personnes non-racisées. Décoloniser veut dire (2) entreprendre une critique éthique et tangible du système colonial (3) s’atteler à donner suffisamment d’importance à ce travail d’éducation populaire en lui accordant les moyens humains et financiers nécessaires (4) en démocratisant l’accessibilité du contenu scientifique du musée qui malgré sa qualité, se cantonne trop à des supports de diffusion classiques et impopulaires.
La chronique médiatique autour de la sortie de Mme Nsayi est une véritable opportunité pour vous en tant que directeur. C’est peut-être le moment clé ou le débat majeur qui vous permettra d’entamer – dans la pratique – des améliorations qui resteront dans les annales de l’histoire postcoloniale. Je crois qu’il ne sera plus possible de cacher les failles ni de régler les problèmes structurels avec des réponses conjoncturelles. À la croisée des chemins, l’Africamuseum doit se battre pour sa survie avec suffisamment d’audace, de concertation populaire et de vision claire pour l’avenir.
C’est dans cette optique que je vous propose de lancer ensemble les «Assises de l’Africamuseum» afin de mettre en dialogue des employés du musée, des personnes issues de la diaspora ainsi que des représentants des visiteurs du musée. L’objectif est simple, nous aurons à répondre à la question : « Comment décoloniser l’Africamuseum et actualiser son utilité sociétale ? ».
En tant que partenaire, Fémïya (ex-Bamko asbl) et moi-même sommes à votre disposition pour envisager tout travail de fond qui pourrait mener à une amélioration de la situation.
Décolonialement vôtre,
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