Les droits humains fêtent leurs 75 ans
Il y a 75 ans, deux textes naissaient au sein des Nations unies. Le 9 décembre 1948, l’Assemblée générale adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide par 56 voix pour, sans aucune opposition ni abstention. Elle s’ouvre sur l’idée que «pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux, la coopération internationale est nécessaire» et oblige tous les Etats à prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir ou réprimer ce crime. Comme l’affirmait le délégué français Alexandre Parodi, «le génocide, à regarder les choses telles qu’elles sont, est un crime qui se commet, sinon avec la complicité, au moins le plus souvent avec la tolérance des gouvernements, et par suite, la répression efficace du crime de génocide ne peut être qu’une répression internationale».
Le lendemain, l’Assemblée générale adoptait la Déclaration universelle des droits de l’homme par 48 voix pour, aucune opposition et huit abstentions. Six Etats socialistes regrettaient que la Déclaration se limite à proclamer des droits de manière abstraite sans indication plus concrète et mette en jeu la souveraineté nationale alors que «ce principe est le seul qui protège les petits pays contre les visées expansionnistes des Etats plus puissants». L’Afrique du Sud et l’Arabie saoudite s’abstenaient également, voulant maintenir sans doute le régime d’apartheid, pour l’un, et des droits distincts pour les hommes et les femmes, pour l’autre. En préambule de cette Déclaration, l’Assemblée générale considère «qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression». La Déclaration proclame une série de droits dont chacun peut se prévaloir puisque «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits», comme le prévoit son article 1er.
Nombre d’observateurs pensent que de tels textes ne seraient probablement pas adoptés aujourd’hui, vu les droits humains progressivement remis en cause ici et là. Cela explique que, malgré leurs limites, ces instruments sont généralement perçus comme des marqueurs fondamentaux de la protection qu’on attend de la part des Etats, qui peuvent toujours faire plus mais qui ne peuvent en tout cas pas faire moins.
Lorsqu’on parcourt la Déclaration universelle des droits de l’homme, on peut légitimement se demander lequel reste actuellement garanti dans le chef des Gazaouis. Le caractère criminel des violations de leurs droits n’est pas douteux et des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent parmi les experts pour affirmer qu’on assiste à Gaza, sinon à un génocide, du moins à un sérieux risque qu’il se réalise. La Convention de 1948 s’applique donc et tous les Etats qui y sont parties doivent faire le nécessaire pour prévenir ou réprimer un tel crime. Sans doute nos dirigeants prennent-ils la situation très au sérieux, comme en attestent leurs déclarations. Mais celles-ci seront-elles accompagnées des actes qui permettront concrètement d’empêcher ou de faire cesser ce qui, de l’avis des Nations unies en 1948, «a infligé à toutes les périodes de l’histoire de grandes pertes à l’humanité»?
Anne Lagerwall est professeure de droit international à l’ULB.
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