Jules Gheude
« Les communes wallonnes vont tomber en faillite les unes après les autres » (carte blanche)
Fin de la Belgique… bientôt ? L’essayiste politique Jules Gheude revient sur la septième réforme de l’Etat annoncée, et livre l’analyse de Claude Eerdekens (PS).
Claude Eerdekens vient de fêter ses 50 ans de mayorat à Andenne. L’homme est connu pour son franc-parler et son indépendance d’esprit. Dans son bureau de l’Hôtel de Ville, un portait du général de Gaulle attire immédiatement l’attention.
Personne n’a oublié sa sortie « rattachiste » à la Chambre, le 10 juillet 1996. Ce jour-là, en effet, excédé par les propos tenus par certains libéraux flamands lors de l’examen du projet de loi -cadre sur la modernisation de la sécurité sociale, Claude Eerdekens explose littéralement : « Si une majorité de Flamands pensent comme vous, alors les heures de pays sont comptées. (…) Nous, Wallons, sommes fiers de nous trouver à côté d’un grand pays comme la France. Si vous voulez que la France se trouve aux portes de Bruxelles, alors allez-y ! ». Et le député VLD Rik Daems de répliquer : « Vous voulez la France, eh bien allez à la France ! ».
L’incident ne manquera pas d’être largement commenté à l’occasion des cérémonies marquant le 14 juillet. Fidèle en cela à la politique de non-ingérence suivie par le Quai d’Orsay, Hervé de Charrette, le ministre français des Affaires étrangères, souligne qu’il s’agit d’un débat de politique intérieure belge.
Un débat qui est toutefois suivi avec la plus grande attention par les Autorités françaises, au point que lors, de la crise politique belge de 2010, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale chargera deux de ses membres d’une mission d’information en Belgique afin de rédiger un rapport sur la situation intérieure du pays.
Claude Eerdekens mit fin au tabou qui entourait la question du rattachement de la Wallonie à la France
Par sa déclaration, Claude Eerdekens mit fin au tabou qui entourait la question du rattachement de la Wallonie à la France. Une question à laquelle, on le sait, le général de Gaulle était personnellement sensible :
Dans son ouvrage « C’était de Gaulle » (Editions de Fallois/Fayard, tome III, 2000), l’ancien ministre Alain Peyrefitte rapporte ces propos tenus, le 20 juillet 1967, par l’homme de Colombey : « Je sais bien qu’après la Libération, il aurait suffi que je claque des doigts pour que la Wallonie demande son rattachement à la France. (…) Mais, à la fin de la guerre, nous avions suffisamment de difficultés avec les Anglais et les Américains pour ne pas rajouter celle-là. Alors, j’ai renvoyé mes visiteurs (wallons) à un avenir plus lointain. Je leur ai dit que l’histoire des peuples est longue, qu’ils durent plus longtemps que toutes les constructions artificielles qu’on peut leur imposer. Et que le jour où la Wallonie, par la voix de ses représentants légitimes, ou de préférence par référendum, décidait d’être rattachée à la France, nous leur ouvririons les bras de grand cœur.
Bien de l’eau a coulé depuis sous les ponts. Sous les coups de butoir du nationalisme flamand, le démantèlement de l’Etat belge s’est poursuivi inexorablement.
Une 7eme réforme de l’Etat doit être préparée pour 2024, mais les divergences Nord/Sud sont telles qu’on voit mal un compromis aboutir entre l’option fédérale francophone et l’option confédérale flamande. Le fameux « compromis à la belge » semble bel et bien avoir atteint ses limites. Le fait est que la Flandre ne se comporte plus en entité fédérée, mais en véritable Nation.
C’est ce que j’explique dans la tribune « Et si, en 2024, la Wallonie devenait française », publiée récemment sur le site du journal français « Le Monde » et que Louis Nisse, membre de l’Alliance Wallonie-France, a transmise à Claude Eerdekens.
La réponse de ce dernier contient un constat implacable, que je livre ici dans son intégralité :
« Il est évident que 2024 est une échéance particulièrement inquiétante.
[…] Un succès des partis nationalistes flamands, NVA et Belang, pourrait aboutir à ce que les Flamands partisans de l’indépendance de la Flandre soient demain majoritaires à la Chambre.
Il y a par contre d’autres éléments qui doivent être pris en considération. Ils me font penser que le pire est à venir.
1) La Flandre est l’une des régions économiquement les plus prospères d’Europe.
2) La Wallonie tente de se redresser et le niveau d’emplois n’est pas suffisant, malgré certains succès enregistrés.
3) La faillite inéluctable de la Fédération Wallonie-Bruxelles met en péril tous les projets de redressement de la Wallonie. L’enseignement en Belgique francophone, pour des raisons que vous connaissez mieux que quiconque, a vu sa qualité régresser, malgré tant d’efforts individuels de générations d’enseignants et des moyens financiers considérables déployés.
Ce que perdent de vue les Wallons et les Bruxellois francophones, c’est que les pensions des enseignants francophones sont payées par l’Etat fédéral. Les Flamands qui savent compter n’ignorent pas qu’il y a proportionnellement davantage d’enseignants à Bruxelles et en Wallonie qu’en Flandre. Le coût de la pension des enseignants francophones constitue un transfert Nord-Sud tout comme le paiement des retraites des fonctionnaires régionaux. D’ici 2030, la Fédération Wallonie-Bruxelles sera en faillite. Tous les partis le savent et le dissimulent.
4) Le Gouvernement wallon actuel, tétanisé par la progression du PTB, fait tourner la planche à billets dans une course éperdue vers une faillite inéluctable.
5) Les pouvoirs communaux vont à la déconfiture par les transferts de charges du fédéral vers le local qui épuisent ce que j’appelle « le baudet communal ».
6) Les dépenses des zones de police, des zones de secours explosent.
7) Au 1er janvier 2021, la perception du précompte immobilier a été régionalisée.
Conséquence : l’ensemble des communes wallonnes comme les provinces ont en matière de précompte immobilier touché, pour l’année 2021, 90% de ce qui était octroyé du temps de la perception de cet impôt par le SPF Finances.
8) Cherchez l’erreur pour les pouvoirs locaux ! Ils se sentent traqués. L’indexation des salaires fait exploser les coûts de même que la facture énergétique. Les unes après les autres, les communes wallonnes vont tomber en faillite.
Je ne pressens rien de positif pour l’avenir, même si par nature je suis optimiste.
Le plus pathétique est l’incapacité du monde politique d’oser dire la vérité aux citoyens.
En conclusion, je partage le sentiment que 2024 et surtout les années qui suivront vont être cruciales. On va devoir terriblement se retrousser les manches car personne ne sait à ce jour de ce que l’avenir sera fait. »
Jules Gheude, essayiste politique
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Le constat implacable de Claude Eerdekens »
[J1]Débat
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici