Eva Smets
« Le manque d’eau salubre pourrait tuer plus de Gazaouis que les bombes »
« Empêché de déployer une aide humanitaire pourtant cruciale à Gaza, notre personnel est contraint de se mettre à l’abri pour sauver sa propre vie », alerte Eva Smets, directrice générale d’Oxfam Belgique. « Nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat, afin de venir en aide aux civils. Cet apaisement serait dans l’intérêt des Palestiniens et des Israéliens. »
Beaucoup d’espoirs ont été placés dans l’ouverture du poste frontière de Rafah, par lequel ont commencé à transiter des camions depuis l’Egypte samedi, chargés de vivres et de médicaments. Cependant, ces premiers convois ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. Avant le 7 octobre, au moins 100 camions de fournitures humanitaires par jour étaient nécessaires pour répondre aux besoins des plus de deux millions d’habitants de l’enclave assiégée !
Ce dont les habitants de Gaza ont besoin en priorité, c’est d’un appel sans équivoque des dirigeants du monde entier à un cessez-le-feu immédiat, qui mettrait un terme à la punition collective que subissent les habitants de Gaza et laisserait le personnel humanitaire acheminer l’aide auprès des civils et entamer la réhabilitation des services essentiels de la bande de Gaza.
Un million de Palestiniens et de Palestiniennes vivant dans le nord de la bande de Gaza ont été sommés de fuir vers le sud. Parmi elles et eux, se trouvaient également nos collègues et nos partenaires. La route qu’ils et elles ont emprunté aurait dû être un passage sûr, elle a pourtant été bombardée. Les humanitaires d’Oxfam viennent en aide aux populations affectées par la guerre depuis des décennies. Nous sommes actifs en Somalie, au Yémen et en Syrie, mais aussi en territoire palestinien occupé depuis presque 70 ans. Mais ce qui se passe aujourd’hui à Gaza est sans précédent.
Ailleurs, mes collègues seraient en train d’apporter de l’aide humanitaire partout où elle est nécessaire. À Gaza, ils sont contraints de se mettre à l’abri pour sauver leurs propres vies. Ailleurs, nous serions en contact permanent. À Gaza, impossible de communiquer avec nombre d’entre eux car les téléphones ne peuvent plus être rechargés depuis que l’unique centrale électrique de la ville a cessé de fonctionner. Ailleurs, nous partagerions nos données de localisation avec les combattants pour assurer la sécurité du personnel et des civils, à Gaza aujourd’hui, personne n’est en sécurité.
Les règles relatives à l’accès humanitaire ont été jetées aux oubliettes et les appels timorés du monde politique à « minimiser les pertes civiles » sont au mieux naïfs, au pire, insensibles à l’horreur à ciel ouvert qu’est devenue la bande de Gaza.
Gaza: l’eau sous le feu des bombes
Le manque d’eau salubre pourrait tuer plus de Gazaouis que les bombes. Plus de 2 millions de personnes, dont la moitié sont des enfants, sont obligées de boire de l’eau impropre à la consommation ou de devoir s’en passer. Les toilettes des habitations qui tiennent encore debout ne sont plus fonctionnelles et des tonnes de détritus s’accumulent dans les rues. Gaza risque de devenir un terrain propice à la propagation du choléra et à d’autres maladies infectieuses, potentiellement mortelles.
D’après les Nations unies, au moins six puits, trois stations de pompage des eaux, un réservoir d’eau et une usine de dessalement desservant plus d’un million de personnes ont été endommagés par les frappes aériennes ou ont cessé de fonctionner en raison d’un manque de carburant et d’électricité.
« Le manque d’eau salubre pourrait tuer plus de Gazaouis que les bombes »
Les six stations de traitement des eaux usées ne sont plus opérationnelles. Il n’y a plus d’eau pour 3 500 patients hospitalisés dans 35 hôpitaux, et environ 527 500 personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza, réfugiées dans 147 écoles, sont en danger permanent. Les Nations unies estiment que les habitants de Gaza n’ont accès qu’à 3 litres d’eau par jour en moyenne, alors qu’une personne a besoin de 50 à 100 litres pour satisfaire ses besoins sanitaires de base.
Au cours des dernières décennies, nous avons reconstruit des écoles, réhabilité des systèmes de distribution d’eau, distribué de la nourriture, du carburant et des fournitures médicales, appuyé des projets d’agriculture à petite échelle et soutenu le travail des pêcheurs dans la mer de Gaza. Des progrès réduits, une fois de plus, à néant.
Oxfam a été fondée dans l’obscurité de la Seconde Guerre mondiale sur le principe que les besoins des civils transcendent les clivages politiques, et que nous avons toutes et tous la responsabilité d’agir pour empêcher la mort d’innocents. Il est révoltant de constater qu’en 2023, ces fondements sont ignorés. Seule la fin du cycle de la violence peut apporter l’espoir d’un avenir meilleur pour les Palestiniens et les Israéliens.
Par Eva Smets, Directrice Générale d’Oxfam Belgique.
Le titre de la carte blanche est de la rédaction. Le titre original: « Jamais dans l’histoire d’Oxfam nous n’avons assisté à une crise humanitaire comme celle que subit Gaza. »
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