Carte blanche
La gratuité de l’enseignement, cette utopie… (carte blanche)
L’enseignement peut-il être réellement gratuit, alors qu’une école primaire vient d’être épinglée pour demander… 400 euros de frais d’inscription ? Pour Bernard De Commer, ancien permanant du SEL-SETCa, cela relève de l’utopie.
La quadrature du cercle a occupé les mathématiciens depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il faut croire que la gratuité de l’enseignement obligatoire relève de la même impossibilité.
- Une gratuité mise à mal
Tout dernièrement, les médias ont rapporté qu’une école primaire réclamait des frais d’inscription aux parents afin de pouvoir les réinscrire à la rentrée prochaine : 400 euros pour un enfant, 600 pour deux et plus. Avec à la clé un engagement formel de ceux-ci à soutenir l’ASBL de l’école, laquelle doit faire face, chaque année, à des frais d’entretien des bâtiments dont elle est propriétaire. Interpellée, la direction déclare qu’il s’agit d’une erreur de communication.
L’objet de la présente carte blanche n’est pas d’investiguer à ce propos. On se souviendra, toutefois, que, en novembre 2019, la justice de paix de Namur avait débouté une école secondaire qui réclamait aux parents des frais jugés illégaux.
En réaction à cette jurisprudence, la ministre de l’Ensiegnement Caroline Désir (PS) rappelait alors les règles et, dans une interview rapportée par le journal Le Soir du 6 novembre 2019, déclarait que « cette situation implique la nécessité de continuer à informer de l’existence de ces règles, tant les familles que les pouvoirs organisateurs, car chaque acteur doit mieux connaître ses droits et devoirs en la matière. Je suis particulièrement sensible à la question de la gratuité scolaire, qui constitue une des priorités du gouvernement au cours de cette législature. Nous avons notamment entamé cette année la mise en œuvre d’un décret qui impose la gratuité des frais scolaires en 1ère maternelle et dans le maternel spécialisé, mais qui plafonne aussi les frais culturels et de séjours. Les efforts en ce sens doivent se poursuivre, et je vais m’y atteler ».
Quelques mois auparavant, le 14 mars 2019, un décret visant à renforcer la gratuité d’accès à l’enseignement prévoyait l’instauration progressive de la gratuité des fournitures scolaires en 1ère maternelle à la rentrée 2019, en 2ème maternelle en 2020 et en 3ème maternelle en 2021.
Et ensuite ? Plus rien n’était prévu. La Ligue des familles appelait dès lors à poursuivre cette démarche en 1ère primaire dès la prochaine rentrée.
Et puis catastrophe au moment de concrétiser, catastrophe relativement habituelle faut-il le dire avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’intention y est mais le budget 2022 ne le permet pas.
La Ligue des Familles, quant à elle, mène une enquête visant à connaître de la manière la plus précise possible, le coût réel payé par les parents ayant des enfants en école primaire.
Et l’on peut lire sur son site à la date du 14 avril 2022 les propos tenus par Maxime Michiels, chargé d’études à la Ligue des Familles, relatifs à une enquête menées par celle-ci : « Cela permettra d’identifier le budget nécessaire à la gratuité des fournitures scolaires, afin que le gouvernement puisse inscrire cette mesure à son prochain budget et que la gratuité scolaire devienne réalité en primaire dès septembre 2023 . Les coûts scolaires mettent encore de nombreuses familles en difficulté au quotidien. Chaque année qui passe sans concrétisation de la gratuité scolaire, ce sont des dizaines de milliers de familles qu’on laisse en souffrance. »
2. Des obligations légales
Rappelons quand même brièvement quelles sont les obligations légales en matière de gratuité.
La circulaire 8170 du 30 juin 2021 distingue :
- Les frais scolaires
- Les frais extra-scolaires
Les frais scolaires portent sur des services prestés et des activités dans le cadre de l’enseignement dispensées par l’établissement scolaire et cela durant le temps scolaire et toutes les activités durant lesquelles l’élève doit être présent que ce soit dans l’établissement ou en extra-muros.
Ne sont pas concernés les frais liés au fonctionnement, à l’équipement et l’encadrement des temps extrascolaires : temps de midi, garderies du matin et du soir. L’établissement doit communiquer aux parents des décomptes périodiques reprenant les montants et l’objet des frais. Si le montant réclamé excède 5O euros, l’établissement, à la demande des parents, doit permettre un échelonnement du remboursement.
En ce qui concerne les activités sportives et culturelles, les séjours avec nuitées, déplacements compris, le décret du 14 mars 2019 autorise le gouvernement à fixer un plafond maximum (et non à atteindre) pour celles-ci. A ce jour, seuls les plafonds pour l’enseignement maternel ont été fixés : 45 euros à indexer pour les activités scolaires, culturelles et sportives et 100 euros à indexer pour l’ensemble du cursus maternel pour les séjours pédagogiques avec nuitée, déplacements compris.
Ces dispositions sont le plus souvent respectées, mais à géométrie variable selon, parfois, l’interprétation qu’on leur donne.
3. Que faire dès lors ?
A court terme : appliquer les sanctions prévues. Le sous-financement – réel- des écoles ne peut être une excuse au laisser-faire. C’est aussi l’avis de la Ligue des Familles qui « demande un renforcement des contrôles des écoles qui se mettent dans l’illégalité et l’application des sanctions prévues. » (La Ligue du 14 août 2014). La Ligue va d’ailleurs plus loin encore qui réclame une inspection spécifique de la gratuité.
En effet, est-il moralement tolérable qu’on transgresse impunément la loi, au détriment de familles en difficulté à qui l’on déclare en substance : vous n’êtes pas contents ? Allez voir ailleurs. Ou débrouillez-vous avec le CPAS. Ou pire encore relate La Ligue dans le même article « … ces situations humiliantes pour les enfants lorsque les enseignant·e·s ne permettent pas à l’enfant de participer à un cours, tout en lui demandant d’être présent pour regarder ses camarades de classe. Lorsque la pression est mise pour vendre toujours plus de billets de tombola. Ou lorsque les impayés mènent à l’exclusion de l’école. »
A moyen et long terme :
- refinancer la Communauté française mais on sait les craintes des partis francophones à ouvrir la boîte de pandore pour de nouvelles mesures communautaires comme cela s’est fait à chaque fois.
- régionaliser l’enseignement, étant entendu que chaque région à une capacité de lever un impôt, ce que n’a pas la Fédération Wallonie-Bruxelles; mais si les Wallons pourraient ne pas majoritairement bouder cette solution, il n’en est pas de même des Bruxellois.
A très long terme, comme l’a toujours revendiqué mon organisation syndicale, le SEL-SETCa :
- militer pour un réseau unique public pluraliste, ne serait-ce que pour de simples raisons économiques.
A quoi bon, en effet, cette guerre froide des réseaux coûteuse ? A quoi bon sur un territoire restreint deux écoles fondamentales de réseaux différents ou deux écoles secondaires organisant les mêmes finalités, par exemple ?
Les finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles étant ce qu’elles sont n’y aurait-il pas à faire là au moins coûteux et dégager ainsi des moyens permettant à se rapprocher pas à pas de la réelle gratuité de l’accès à l’enseignement ?
Mais là on met le doigt dans l’engrenage des tabous que véhicule la société belge où, faut-il le rappeler, la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’est toujours pas complètement aboutie.
4. Et pour conclure provisoirement ….
Je n’ai pas de boule de cristal, mais je crains fort que la gratuité relèvera longtemps encore de l’utopie sans doute hors de portée malgré les promesses des uns et des autres.
Il faudra se contenter de s’en rapprocher au plus près, rester vigilants (on connaît l’imagination débordante de certains pour contourner la loi) et pousser l’Autorité à sanctionner – et durement- là où cela s’avère nécessaire.
Bernard De Commer, ancien permanant du SEL-SETCa
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