Nicolas De Decker
La certaine idée de Nicolas De Decker: le biais cognitif est si systématique en politique (chronique)
Qu’importe si le raisonnement a la fiabilité d’un Powerpoint de marketeur mescaline.
En psychologie, on appelle «biais cognitif» une distorsion dans l’appréhension, dans la présentation ou dans l’interprétation de la réalité par le récepteur. «Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement», est-il écrit sur Wikipédia. Les biais cognitifs, propres à l’esprit humain, sont dans la vie normale très nombreux. Dans la vie politique, ils sont si indispensables qu’ils en deviennent systématiques.
La politique, en effet, impose de présenter la réalité comme le sujet la voudrait plutôt que comme elle est.
A partir d’une réalité que l’on peut, au choix, omettre ou distordre, l’objectif politique du biais est toujours identique, il faut que la conclusion tirée par le sujet renforce les convictions qu’il porte et déforce celles de l’adversaire. Qu’importe si le raisonnement a la fiabilité d’un Powerpoint de marketeur sous mescaline.
Comme lorsqu’en France un maire provocateur décide d’autoriser les femmes à se baigner seins nus ou tout habillées dans les piscines municipales, la conclusion qu’en tirent tout de même certains, c’est que ce maire qui laisse les femmes se baigner seins nus est habité par un islam rigoriste.
Ou lorsque le nouveau patron de la ligue professionnelle de football, ancien vice-président de la N-VA, s’oppose à l’interdiction de la publicité pour les paris sportifs, la conclusion qu’en tirent tout de même certains, c’est que ce gouvernement qui veut interdire la publicité pour les paris sportifs sert politiquement les intérêts d’un lobby.
Ou alors lorsque le président du PTB explique qu’il ne voudra monter dans aucun exécutif francophone qui refuserait la rupture avec certains aspects des traités européens tout en se vantant d’être monté dans des exécutifs dans une commune et un district flamands sans avoir rompu avec quoi que ce soit, la conclusion qu’en tirent tout de même certains, c’est que ce sont les autres qui ne veulent pas que le PTB monte dans un exécutif francophone.
Ou encore lorsque le service public de radiotélévision diffuse, dans son JT, un reportage sur la visite du président du MR chez un cuisiniste mais qu’il ne dit pas un mot de la conférence de presse tenue quelques jours plus tard par le président du PS sur le pouvoir d’achat, la conclusion qu’en tirent tout de même certains c’est que le service public de radiotélévision est irréductiblement hostile au MR et incurablement stipendié au PS.
Ou enfin lorsque le président du PS et le coprésident d’Ecolo demandent qu’un gouvernement auquel ils participent mais qu’ils ne dominent pas, comme le gouvernement fédéral, prenne des décisions fortes sur la question du pouvoir d’achat, tout en ne parvenant pas à faire prendre des décisions fortes sur le pouvoir d’achat à d’autres gouvernements auxquels ils participent mais qu’ils dominent déjà, comme les gouvernements wallon ou bruxellois, la conclusion qu’en tirent tout de même certains c’est que les gouvernements auxquels ils participent mènent des politiques fortes sur le pouvoir d’achat.
Le biais cognitif est en politique si systématique qu’aucun de ces exemples rencontrés récemment n’était au moment d’écrire ces lignes daté de plus de soixante heures.
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