Jules Gheude
Hadja Lahbib: responsabilité ministérielle assumée ou particratie triomphante ?
« En politique, il faut toujours avoir un peu d’humilité et c’est, semble-t-il, ce qui fait défaut à Hadja Lahbib », estime Jules Gheude, essayiste politique.
Les salaires confortables dont jouissent les ministres se justifient par les responsabilités importantes qui pèsent sur leurs épaules.
Encore faut-il qu’ils les assument pleinement et que, lorsqu’une erreur grave est commise, ils en tirent aussitôt les conséquences qui conviennent.
Agir autrement ne peut qu’amener le citoyen à perdre confiance dans le fonctionnement démocratique. Soit il se détourne alors de la politique, soit il transpose son mécontentement/dégoût dans un vote extrême.
On se souvient du drame du Heysel, le 29 mai 1985, et du refus du ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles-Ferdinand Nothomb (PSC), de démissionner.
On se souvient aussi de l’évasion spectaculaire de Marc Dutroux du palais de justice de Neufchâteau, le 25 avril 1998, qui avait amené le ministre de l’Intérieur, Johan Vande Lanotte (PS), et son collègue de la Justice, Stefan De Clerck (CVP), à démissionner spontanément.
Et il y eut encore l’affaire Walid Khaled, avec la venue à Bruxelles en janvier 1991, grâce à un visa de touriste valable, de ce porte-parole du groupe terroriste palestinien Abou Nidal qui avait pris en otage une famille belge.
Refus du ministre des Affaires étrangères, Mark Eyskens (CVP), de démissionner, au motif que trois de ses collaborateurs ne l’avaient tout simplement pas tenu informé. Ces trois collaborateurs portèrent donc seuls le chapeau.
Dénouement pour le moins incompréhensible, dans la mesure où un ministre est censé porter la responsabilité politique de son cabinet.
Mark Eyskens resta donc en place, après un vote de confiance du parlement.
« Ce jour-là, estime le constitutionnaliste Hendrik Vuye, les parlementaires ont porté la responsabilité politique en terre. C’est la particratie qui règne plus que jamais dans ce pays. »
La question se pose à nouveau aujourd’hui à propos du rôle joué par Hadja Lahbib dans la venue à Bruxelles d’une délégation iranienne, emmenée par le très conservateur maire de Téhéran, dans le cadre du Brussels Urban Summit.
Rappelons brièvement les faits. Le secrétaire d’Etat bruxellois d’Etat Pascal Smet informe Hadja Lahbib de son intention d’inviter cette délégation iranienne. Hadja Lahbib rend, en avril, un avis défavorable à ce sujet.
En tant que cheffe de la diplomatie belge, elle aurait dû se tenir à cet avis. Elle ne l’a pas fait et là se situe son erreur.
L’argument consistant à dire qu’elle ne pouvait plus refuser l’octroi des visas dès l’instant où Pascal Smet avait adressé formellement l’invitation aux autorités iraniennes, ne peut convaincre.
Il y aurait eu un incident diplomatique, dit-elle. Comme si les autorités iraniennes pouvaient ignorer l’avis négatif qu’elle avait émis dès le départ. En tout cas, aujourd’hui, elles sont bien au courant…
En tant que cheffe de la diplomatie belge, Hadja Lahbib a finalement donné le feu vert à quelque chose qu’elle désapprouvait ouvertement. Ce faisant, elle n’a pas exercé la pleine souveraineté de sa compétence régalienne.
Pascal Smet a reconnu sa responsabilité et présenté sa démission, mais la responsabilité d’Hadja Lahbib est tout autant engagée.
Pour le Premier ministre, l’incident est clos. Maic c’est un peu vite dit.
Quatre heures de discussions n’ont pas suffi à convaincre les membres de la commission des Relations extérieures, au point que l’intéressée a dû à nouveau se présenter lundi.
En politique, il faut toujours avoir un peu d’humilité et c’est, semble-t-il, ce qui fait défaut à Hadja Lahbib.
La présentatrice de l’émission de la VRT « Villa Politica » l’a bien compris. Elle interrogeait jeudi, avant la séance de la Chambre, Servais Verherstraeten, le chef de groupe CD&V. Celui-ci estimait qu’Hadja Lahbib devait délivrer un signal clair. Et la journaliste d’ajouter : « Ce n’est pas le genre d’Hadja Lahbib de présenter des excuses. »
A l’exception du MR, tous les partenaires de la majorité réclament pourtant ce « signal fort » exigé par le CD&V.
C’est dire que, contrairement à ce qu’Alexander De Croo affirme, l’incident est loin d’être clos. Le Premier ministre apparaît en tout cas comme un chef d’orchestre dont les musiciens jouent des partitions différentes.
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