Carte blanche
Evaluer les enseignants ? Oui à la formation, non à la punition (carte blanche)
Faut-il évaluer les enseignants ? Pour Emmanuel Fayt, président du SETCa-SEL, une évaluation formative collective serait préférable à une évaluation individuelle punitive.
Nous le répétons depuis des mois, la séparation claire de l’évaluation des pratiques et du contrôle des enseignants est une question clé. Pour que les équipes éducatives puissent réellement et sincèrement analyser des situations insatisfaisantes et les améliorer, il est indispensable de dissocier l’évaluation de toute possibilité de sanction (contrôle). Si, comme il le prévoit, le pouvoir régulateur associe à l’évaluation la possibilité de sanctions allant jusqu’à l’interdiction professionnelle, alors tout travail d’équipe sur l’amélioration des pratiques et, au-delà, toute amélioration du système éducatif deviennent impossibles !
Évaluer pour améliorer les pratiques
Le Pacte prescrit aux équipes éducatives un travail d’évaluation collective des modalités d’organisation des établissements et des pratiques pédagogiques ou éducatives. Ce travail conduit à l’élaboration d’un Plan de Pilotage qui fixe des objectifs d’amélioration et les traduit en actions à mettre en œuvre par l’équipe éducative pour résoudre les problèmes identifiés. Ces actions sont évaluées et réajustées annuellement, des formations sont organisées au besoin.
Les enseignants doivent aussi collaborer entre eux, construire ensemble des séquences de cours, réfléchir ensemble aux difficultés d’apprentissage des élèves, échanger sur leurs difficultés professionnelles, en vue d’améliorer la qualité de leur travail au profit des apprentissages des élèves.
Ce travail d’évaluation en équipe identifie éventuellement des besoins de formation ou d’échanges de pratiques. Le Pacte vise à créer une dynamique collective dans l’équipe afin que chacun apprenne des autres et qu’une culture professionnelle renforcée se diffuse dans l’établissement.
Pour que ce travail soit possible, les enseignants doivent pouvoir s’organiser dans un contexte qui favorise la confiance entre pairs. C’est une condition d’existence de ce travail. Chacun doit pouvoir s’impliquer sans crainte de faire état de ses difficultés.
C’est un défi important pour une profession où la collaboration et l’échange sont essentiels. Aujourd’hui, souvent, quand un enseignant rencontre des difficultés, et cela peut arriver à tous les enseignants, il n’ose pas en parler.
L’évaluation formative collective des pratiques cherche à sortir de cette logique de l’isolement et à créer une dynamique d’équipe. Plutôt que de classer les enseignants en bons et mauvais profs, on cherche à s’assurer que tous puissent apprendre des autres et s’appuyer sur des compétences renforcées et partagées.
Un bâton dans le dos ?
Parce qu’ils craignent de ne pas réussir à créer cette dynamique, certains décideurs (Pouvoir régulateur, Réseaux, directions) sont tentés de compléter ce dispositif par un système d’évaluation individuelle pouvant déboucher sur des sanctions.
Il s’agirait de créer un système de contrôle des compétences pédagogiques des enseignants par la direction. Une fois par an, chaque enseignant devrait participer à un entretien de fonctionnement à la suite duquel le directeur pourrait décider soit d’approuver son travail, soit de lui signifier des manquements pédagogiques et des obligations d’actions pour y remédier. Si l’enseignant continuait à faire preuve de manquements aux yeux de la direction, une procédure pourrait mener après deux avis défavorables à un licenciement.
Il ne s’agit plus ici d’évaluation, mais de contrôle. Il ne porterait plus sur des situations mais sur des personnes et leur écart supposé avec une « norme pédagogique » dont on se demande qui l’a fixée et quand. Comme si cela ne suffisait pas, certaines Fédérations de PO sont tentées d’étendre la portée des sanctions à l’ensemble des employeurs du réseau qu’elles représentent. Même si la procédure de sanction porte sur une norme pédagogique fixée localement, il serait question de ne plus pouvoir prétendre à une priorité à l’engagement dans d’autres écoles du réseau. Cela revient, ni plus, ni moins, à une interdiction professionnelle. De la sanction à la punition, il n’y a qu’un pas.
Ce système de contrôle pose plusieurs difficultés majeures.
D’une part, il n’y a aucune norme pédagogique prescrite. S’il est évidemment normal qu’un enseignant qui ne respecte pas les clauses de son « contrat » de travail (horaires, absences, règlements, programmes, etc.) soit sanctionné, c’est notamment parce que la norme est connue (retards, absences injustifiées, etc.). Par contre, au niveau pédagogique, il n’y a de norme que celle qu’aujourd’hui chaque enseignant se donne individuellement et que le Pacte cherche à rendre plus collective via le travail collaboratif en équipe. Ce système de contrôle créerait de facto un pouvoir de la direction d’imposer sa conception individuelle de la norme pédagogique à chaque enseignant, ce qui changerait radicalement le métier d’enseignant : de concepteur, il deviendrait exécutant, et ce selon le bon vouloir de sa direction. C’est aussi pour cela que certaines directions ne veulent pas de ce système d’évaluation/contrôle.
D’autre part, ce système d’entretien de fonctionnement annuel obligatoire mobiliserait un temps considérable, la plupart du temps sans bénéfice aucun, et ce alors que les équipes pédagogiques et les directions manquent déjà de temps. Assez rapidement, la plupart de ces évaluations deviendraient purement formelles, sauf évidemment quand la direction chercherait à mettre au pas l’un ou l’autre membre de l’équipe, pour de bonnes ou de mauvaises raisons dont il déciderait seul. On sait que ces systèmes d’évaluation commencent à être abandonnés dans les organisations efficientes, parce que les effets pervers qu’ils produisent font écran à une prise en considération des difficultés réelles : dégradation des relations professionnelles, stratégies d’évitement, formalisme, perte de temps, maladies pour burnout…
Enfin, ce système de contrôle rendrait impossible la participation réelle des enseignants au système d’évaluation formative collective. En effet, s’il risque une sanction parce qu’il a fait part de ses difficultés à ses collègues, aucun enseignant ne participera plus vraiment au travail d’équipe de réflexion sur les pratiques. Et ce même si la sanction ne pouvait être appliquée que de manière exceptionnelle. La menace suffirait. Les réunions d’équipe se feraient dans la méfiance et la dynamique d’équipe serait grippée.
Les enseignants ne rejettent pas le principe de l’évaluation des pratiques quand elle permet de les faire évoluer et de renforcer leurs compétences pédagogiques. Par contre, ils rejettent avec détermination tout système de contrôle qui vise à renforcer le pouvoir pédagogique hiérarchique des directions, soumet les enseignants au risque de l’arbitraire de leurs conceptions pédagogiques personnelles et contribue ainsi à la déprofessionnalisation de leur métier.
Pour faire progresser les pratiques pédagogiques et renforcer les compétences des équipes pédagogiques, il faut choisir : prendre beaucoup de temps à contrôler individuellement les personnes pour leur imposer des procédures par le haut (le vieux monde) ou favoriser les dynamiques d’équipe qui rendent possible l’évaluation formative collective des pratiques et leur évolution (l’esprit du Pacte).
On ne peut pas faire les deux. Quand les deux coexistent, c’est le contrôle individuel qui donne le ton, ça coûte cher en temps de travail et ça n’améliore rien.
Emmanuel Fayt, président du SETCa-SEL (Secteur Enseignement Libre du SETCa)
Le titre est de la rédaction. Titre original: Evaluation des pratiques ou évaluation punitive ?
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