Hadja Lahbib
Et à part ça, Hadja Lahbib? Ecouter la douce symphonie des langues en exil (chronique)
Et à part ça? Il paraît que Bruxelles est la ville la plus cosmopolite au monde après Dubaï, et quand on sait à quel point Dubaï est artificiellement diversifiée, on peut même décerner la première place à notre bien-aimée capitale. Mais que faisons-nous de cette diversité? Jusqu’à quel point est-elle visible et entendue? Pouvez-vous mettre un visage, un prénom, une voix sur un Erythréen mis à part Biniam Girmay, la coqueluche du cyclisme belge depuis sa victoire à Gand-Wevelgem et d’une étape du Giro? Alors laissez-moi vous présenter un autre talent, littéraire celui-là, Sulaiman Addonia.
Aujourd’hui âgé d’une quarantaine d’années, Sulaiman a vécu son enfance dans un camp de réfugiés soudanais. Il passe son adolescence dans des conditions difficiles en Arabie saoudite avant de fuir vers Londres où il débarque comme mineur non accompagné, sans connaître un mot d’anglais. Cette lacune le rend un temps muet, jusqu’à ce qu’un soir, jaillit de sa plume un torrent de mots. Quelques années plus tard, en 2008, il publie Les Amants de la mer Rouge (Flammarion, 320 p.), tiré de ses observations de la vie en Arabie saoudite. Le roman sera traduit dans plus d’une vingtaine de langues.
L’aide aux réfugiés se limite trop souvent à l’administratif, à la nourriture, au logement.
Un an plus tard, attiré par une rencontre amoureuse, il s’installe en Belgique. Nouvel exil, nouvelles langues, il découvre le néerlandais sur scène lors d’une pièce de théâtre, le français au cinéma… Dans les rues, pourtant, il entend d’autres sonorités, des «r» roulés dans la gorge, des «h» soufflés de la poitrine, des «s» chantant dans les joues… Ces langues absentes de la scène publique, il veut les entendre raconter des histoires, celles d’enfants venus d’ailleurs, comme nombre de Bruxellois. L’ aide aux réfugiés se limite trop souvent à l’administratif, à la nourriture, au logement, mais la langue?
Cette absence inspire son dernier roman, Le Silence est ma langue natale (La Croisée, 224 p.), déjà couronné de trois prix internationaux. «Quand vous apprenez une langue à l’âge adulte, les mots sont comme des rasoirs sur votre langue. Les phrases que vous prononcez sont si meurtries qu’elles se décomposent en sortant de votre bouche», écrit Sulaiman, nous laissant entrevoir une souffrance trop souvent ignorée. Il ne se contente pas de faire entendre sa voix, Sulaiman ouvre une école d’écriture créative pour les réfugiés et demandeurs d’asile à Bruxelles et met sur pied un festival de littérature en exil.
Du 29 au 31 mai, des corridors littéraires traverseront des quartiers bruxellois pour faire circuler des poésies en farsi, lingala, urdu, wolof, berbère, portugais, yiddish, ouest-flamand… Des penseurs, poètes et écrivains de renommée internationale et qui ont un jour vécu à Bruxelles reviendront dire comment la ville a conditionné leur œuvre. Un hommage sera rendu aux écrivains et journalistes emprisonnés à travers le monde, et quand les mots ne suffiront plus, les corps prendront le relais avec des performances et danses jusque tard dans la nuit. Le temps d’un week-end, Bruxelles sera cette ville-monde où nous rêvons de voir grandir nos enfants.
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