Anne-Sophie Bailly

Si la justice était une entreprise, aucun doute, elle serait en faillite

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

Le plan d’urgence présenté par le gouvernement De Croo ne permettra pas de sauver la Justice. Il renforce légèrement le cadre. Quant au reste des problèmes, aucune amélioration en vue.

Imaginons un instant la vie d’une entreprise. Pas celle d’une PME. Non, plutôt celle d’une société anonyme de portée nationale avec des partenariats à l’étranger et qui a un impact sociétal majeur, tant par le nombre de salariés qu’elle occupe que par celles et ceux que son action concerne.

Dans cette entreprise, depuis des dizaines d’années, le personnel alerte sur les problèmes de structure, d’organisation, de vétusté, de manque de moyens. Il faut parfois des années avant qu’un dossier soit traité. D’autres ne le sont carrément jamais. Bien que des investissements aient été consentis, personne n’en connaît le montant exact et l’opportunité de leur allocation fait débat.

Pour des raisons communautaires et de rôles linguistiques, des nominations à des postes clés n’ont pas été validées. Quant au processus de digitalisation, il n’a été entamé que partiellement. Si les gros dossiers sont numérisés, les petits, eux, sont toujours glissés dans des chemises à rabat puis déposés sur des étagères. Et personne ne sait vraiment à partir de quel volume un «petit» dossier est censé devenir «gros».

Bref, ça dysfonctionne pas mal. Des rapports successifs le constatent. Les voyants rouges s’allument. Les améliorations restent limitées.

Soudain, un événement tragique survient et provoque deux morts. Il faut attendre plusieurs jours pour apprendre qu’un membre du personnel n’a pas traité un élément majeur lié à cette tragédie. Que la chemise qui le contenait a été égarée ou oubliée dans une armoire et que personne, ni dans cette société ni parmi ses partenaires, ne s’est inquiété de l’absence de suivi de ce dossier qui a pourtant transité par plusieurs départements.

Pour la société, c’est la faillite assurée. A moins que le curateur ne valide un plan de relance en béton qui permettrait d’assainir la situation et de repartir sur des bases solides.

Poussé dans le dos par l’urgence et la gravité des faits, le management prend alors des mesures rapides. Blâme la faute individuelle, engage sa responsabilité collective, acte la démission d’un responsable hiérarchique, nomme son adjoint pour le remplacer, promet l’engagement de cinq personnes et charge son conseil d’administration d’entamer «une enquête particulière sur ce dossier».

Le curateur refuse le plan de relance. Et pour cause, rien n’est proposé pour contrer la vétusté de la société, les demandes des premiers concernés ne sont pas rencontrées, la politisation des nominations est ignorée, l’organisation n’est pas repensée, la pertinence des organes de contrôle n’est pas questionnée, la transparence et le reporting continuent de faire défaut.

Dans le cas qui nous occupe, l’intérêt du citoyen n’est pas placé au-dessus d’autres préoccupations.

C’est pourtant le plan présenté par le gouvernement belge pour sauver la justice de la faillite.

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