Anne-Sophie Bailly

Que les banques remontent légèrement leurs taux que les industriels rognent un peu leurs marges et ils auront la paix. A bon prix

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

Les banques rechignent à mieux rémunérer l’épargne des Belges. L’industrie agroalimentaire procrastine à réduire le prix de leurs produits. Pourtant, ce serait le meilleur moyen pour eux, d’avoir la paix.

Les initiatives politiques pour tenter de restaurer un peu le pouvoir d’achat des ménages en faisant pression sur les acteurs privés se multiplient. On a eu, au plus fort de la crise énergétique, les tentatives de réguler le marché du gaz ou de récupérer les surprofits, au moins en partie. Depuis quelques semaines, c’est au tour des banques de se trouver dans le viseur de nos dirigeants, qui aspirent à ce qu’elles rémunèrent davantage l’épargne des Belges et qu’elles réduisent les frais de transaction sur les paiements électroniques.

La promesse de Bruno Lemaire, ministre français de l’Economie, de diminuer le prix de centaines de produits grâce à un accord conclu avec l’industrie agroalimentaire fait, elle, rêver les consommateurs belges toujours confrontés à un ticket de caisse dopé à l’inflation.

L’arrivée d’un empêcheur de tourner en rond est redoutablement efficace pour faire bouger les lignes.

Ces initiatives sont louables. Car, c’est un fait, les banques procrastinent à répercuter sur le rendement de l’épargne le relèvement des taux opéré par les banques centrales. Et l’argument selon lequel une meilleure rémunération des comptes fragiliserait un secteur qui a consenti moult emprunts de long terme à taux plancher ne tient que partiellement la route, la couverture de ce type de risques devant intrinsèquement faire partie de la stratégie des établissements bancaires.

C’est un fait tout aussi avéré que l’industrie agroalimentaire, qui avait logiquement répercuté dans ses prix de vente l’envolée du coût des matières premières, des emballages, de l’énergie, tarde à abaisser les prix des produits alimentaires malgré l’accalmie du marché.

Louables, donc, ces initiatives politiques. Mais à finalité incertaine. La menace du name and shame brandie par le ministre français suffira-t-elle à réduire la pression inflationniste du panier des ménages? Imposer une majoration du taux minimal de l’épargne déclencherait-il une concurrence dans le secteur? Rien n’est moins sûr.

Des exemples plus ou moins récents montrent que pour faire bouger les lignes, l’arrivée d’un empêcheur de tourner en rond est redoutablement efficace. Dans le secteur bancaire, connu pour son immobilisme autant que celui des épargnants, on l’a vu débouler au début des années 1990. Il s’appelait Crédit Lyonnais Belgium et avait lancé un compte à haut rendement – le Rendement Plus – assorti d’un taux de 9% alors que la moyenne du marché oscillait aux alentours des 6%. L’épargnant avait répondu présent et le secteur avait été contraint de s’adapter à cette nouvelle donne.

Dans l’industrie agroalimentaire, c’est le rôle de plus en plus fréquemment endossé par les distributeurs. Ils s’appellent Colruyt quand ce dernier retire de ses rayons tous les produits Mondelez (Côte d’Or, Philadelphia, Oreo…) ou Delhaize quand celui-ci déréférence les articles Danone. Les distributeurs ont posé une limite et les producteurs ont été contraints de remballer leur volonté de renégocier les prix.

Dans un cas comme dans l’autre, ces prises de position musclées n’ont débouché sur une onéreuse guerre ni des prix ni des taux. Mais sur des adaptations, des compromis arrachés du bout des dents. C’est peut-être cette évidence-là qui poussera les banques à remonter légèrement leurs taux comme les industriels à rogner un peu leurs marges. Avoir la paix, à bon prix.

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