L’infirmière et l’agriculteur (version revisitée d’une fable de Lafontaine)

Pourquoi des combats compréhensibles et des revendications pertinentes sont parfois couronnés de succès. Parfois pas… Illustration avec la fable de l’infirmière et de l’agriculteur.

« La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l’allons montrer tout à l’heure.»

Régulièrement, dans les rues de la capitale, devant des établissements hospitaliers, des travailleurs vêtus de blanc s’époumonaient, portant haut des calicots aux slogans variés: «Soignants fatigués, patients en danger», «Applaudir ne suffit pas». La compréhension était au rendez-vous parmi la population et le monde politique. Mais sitôt le cortège dissout, l’indifférence reprenait le dessus, reléguant les blouses blanches au chevet des patients. Jusqu’au prochain défilé.

Un jour, dans les rues de la capitale, devant des entrepôts, sur des axes autoroutiers majeurs, des travailleurs vêtus de salopettes et chaussés de bottes se sont époumonés, portant haut des calicots aux slogans variés: «On vous nourrit» ou «Petit, on en rêve. Adulte, on en crève».

«Vous ne nous épargnez guère,
vous, vos normes, et vos tarifs», expliquaient-ils en substance.

La compréhension était au rendez-vous parmi la population et le monde politique. Au point qu’une semaine de blocages aura suffi pour que le cortège soit dissout. Sans indifférence générale mais avec des promesses et des concessions relatives aux principales revendications, qu’il s’agisse du système de jachère, de l’importation de céréales ukrainiennes, des lourdeurs administratives.

Deux colères, deux secteurs essentiels, deux champs de revendications.

Deux issues divergentes. D’un côté, près de quatre années de mobilisation et des résultats qui restent trop maigres par rapport à la pénibilité du travail et, surtout, à la critique pénurie de main-d’œuvre. De l’autre, sept jours de blocages pour une volte-face opérée sur des années de compromis et un rétropédalage en règle sur des avancées en matière de biodiversité.

Preuve que la pertinence d’une revendication, la sympathie véhiculée par un combat, la préhension des enjeux sociétaux, l’empathie à l’égard d’une situation ne suffisent pas à obtenir gain de cause. Une culture de la révolte, une profession mobilisable, la structuration d’un mouvement et, surtout, une démonstration de force intense, puissante et spectaculaire, semblent autrement plus efficaces. Qu’importe pour cela si la transition écologique est devenue la variable d’ajustement d’une paix sociale et d’une circulation fluide.

«Et là, au fond des forêts
L’un l’a emporté,
Sans autre forme de procès.»