Anne-Sophie Bailly

Le procès de Mazan, le Metoo des violences intrafamiliales (édito)

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

Grâce à la force et à la détermination de Gisèle Pélicot, le procès des viols de Mazan sera aussi déterminant pour les victimes de violences intrafamiliales que Metoo pour les abus au sein des relations de pouvoir.

De trois à vingt ans de prison. Le verdict est tombé dans l’affaire Pelicot. Qu’importe. Ce n’est pas tant la peine infligée à Dominique Pelicot et ses coaccusés qui fera que le procès des violeurs de Mazan marquera de son empreinte le statut et la reconnaissance des victimes de violences sexuelles. Ce qui importe, c’est la manière dont Gisèle Pelicot a abordé les audiences, jour après jour, semaine après semaine. Ce qui importe, c’est la détermination avec laquelle elle a affronté ses bourreaux. Ce qui importe, c’est son choix de refuser le huis clos et de diffuser les terribles images et vidéos de ces centaines de viols d’elle, sédatée. Ce qui importe, c’est que Gisèle Pelicot a réussi à placer son statut, celui d’une victime de prédateurs sexuels, au cœur des débats. Ce qui importe, c’est qu’en prenant le contrôle de la narration, elle a pu confronter à leurs actes ses violeurs retranchés dans le déni et les mettre face à leur lâcheté et leurs excuses fallacieuses. Ce qui importe, c’est que le slogan «La honte doit changer de camp» est désormais incarné.

Le procès de Mazan sera aussi déterminant pour les victimes de violences intrafamiliales que Metoo pour les abus au sein des relations de pouvoir.

Qu’on ne s’y trompe pas. Qu’on ne se berce pas d’illusions, non plus. Le courage et la détermination dont Gisèle Pelicot a fait preuve ne seront pas demain ceux de toutes les victimes de violences sexuelles. Car pour une Gisèle Pelicot, combien de victimes cabossées, détruites, seront incapables de porter plainte? Car combien d’entre elles craindront d’être soumises à d’insidieuses questions sur leur comportement, à la suspicion autour de leur attitude, au passage au crible de leur passé? Combien d’entre elles devront surmonter l’épreuve des terribles mises en doute –«il faut remettre les chose dans leur contexte»; «c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre»– au moment de relater les faits? Combien de victimes resteront paralysées par la honte de ce qui leur est arrivé? Combien d’entre elles renonceront à la justice pour éviter le risque d’une victimisation secondaire?

Néanmoins, une brèche a été ouverte. Car tout au long de ces mois d’audiences, du défilé des prévenus et de leurs tentatives d’explications ou de se défausser, c’est la société tout entière qui a pris conscience de la banalisation de la culture du viol, du machiavélisme de la soumission chimique, du fait que des hommes puissent trouver légitime de disposer du corps d’une femme inanimée pour assouvir leurs pulsions. A cet égard, le procès des viols de Mazan sera un moment aussi déterminant pour les victimes de violences intrafamiliales que ne le fut Metoo pour les abus au sein des relations de pouvoir. Gisèle Pelicot en sera le visage.

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