Anne-Sophie Bailly
Grève sur le rail | Conserver des privilèges d’un autre âge justifie-t-il de prendre un pays en otage?
La conservation des privilèges d’un autre âge excuse-t-elle de prendre un pays en otage? Spoiler. La réponse est non.
Le bras de fer entre le gouvernement De Wever et les syndicats du rail se durcit. Après déjà 18 jours de grève, une nouvelle salve d’arrêts de travail est annoncée. Elle émane cette fois du Syndicat autonome des conducteurs de train (SACT) et c’est du lourd: d’abord, six jours de grève consécutifs en avril, ensuite deux semaines par mois à partir de mai et enfin, tous les vendredis et samedis de juillet et d’août. Des dates qui s’ajoutent à la grève générale du 31 mars, aux deux jours de débrayage par mois jusqu’en juillet planifiés par la CSC-Transcom et la CGSP Cheminots et aux sept jours d’arrêt de travail prévus par Metisp-Protect à partir de dimanche prochain.
Bref, chers navetteurs, préparez-vous à vivre des semaines de mobilité catastrophiques.
Pourquoi un tel courroux de la part des travailleurs du rail? C’est que dans sa Déclaration de politique générale, le gouvernement Arizona a prévu un important chapitre consacré aux chemins de fer avec comme ambition de le développer, d’élargir son offre et d’améliorer sa ponctualité, tout en économisant 675 millions d’euros d’ici à 2029. Dans le détail, ces mesures d’économies passent par une augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite, une modification du calcul de la pension, la suppression de HR Rail –qui gère les ressources humaines des deux composantes du rail belge, Infrabel et la SNCB. Le tout dans l’optique de préparer l’entreprise ferroviaire à la future libéralisation du rail en 2032, en le rendant plus flexible.
Depuis, c’est la guerre des tranchées entre les représentants du gouvernement et ceux du rail. Les usagers, eux, ont droit à une entreprise ferroviaire à temps partiel.
La conservation des privilèges d’un autre âge excuse-t-elle de prendre un pays en otage?
Cette multiplication de jours d’arrêt de travail est notamment due à l’absence d’une opposition unie. Le banc syndical s’est de fait avéré fissuré dès les premières velléités de contester le plan gouvernemental, malgré l’appel des organisations représentatives des travailleurs les plus importantes à privilégier d’abord la concertation avant d’éventuellement unir les troupes autour d’un programme d’action commun. Fin de non-recevoir des plus petits représentants des cheminots qui avaient dégainé illico, estimant que le métier de conducteur méritait d’être considéré «de façon particulière» et que certaines revendications devaient être «traitées spécifiquement». Et les mauvaises langues de rappeler que le statut «particulier» des cheminots qui mérite «d’être traité spécifiquement» inclut la possibilité de départ à la pension à 55 ans ou le calcul du montant de la pension sur les quatre dernières années de salaire.
Alors faut-il tenir compte de la spécificité du métier, de ses horaires flexibles, de la responsabilité inhérente à leur profession? La réponse est oui. Faut-il entendre les inquiétudes exprimées par rapport aux décisions annoncées? Toujours oui. Le chemin pour parvenir à l’objectif final peut-il faire l’objet d’un débat? Oui, encore. L’impopularité des mesures justifie-t-elle le refus de prendre sa part de l’indispensable exercice de soutenabilité du système des pensions? La sauvegarde d’intérêts propres autorise-t-elle le refus de la concertation? La conservation des privilèges d’un autre âge excuse-t-elle de prendre un pays en otage? La réponse est non. Trois fois non.
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