Anne-Sophie Bailly
Delhaize: Qui a gagné un peu? Qui a perdu beaucoup?
Après deux mois de conflit social dur, où en est-on dans la saga Delhaize? Qui y a gagné quelque chose? Et surtout qui y a perdu beaucoup?
«Dans la jungle/Terrible jungle/Le lion est mort ce soir», chantent différents interprètes depuis 1939. En Belgique, c’est bien d’une terrible jungle dont on parle aussi lorsqu’on évoque la récente saga Delhaize. Celle d’un marché hyperconcurrentiel. Celle d’un secteur aux marges étroites. Celle d’une guerre des prix entre enseignes commerciales comme entre distributeurs et producteurs. Celle d’un conflit dur entre direction et syndicats. Mais la comparaison s’arrête là. Le lion est bien loin d’être mort.
En effet, deux mois après l’annonce de la volonté du distributeur de franchiser 128 supermarchés jusque-là intégrés, la concrétisation du plan progresse. Lentement, certes, mais elle progresse.
La mobilisation des travailleurs, qui avait conduit à la fermeture de dizaines de magasins pendant plusieurs semaines, s’est essoufflée sous le poids des recours aux huissiers pour faire lever les piquets de grève.
Les livraisons ont renoué avec leur cadence habituelle. Les rayons ont été regarnis.
Les clients ont progressivement retrouvé le chemin des caisses du distributeur, portés par une proposition commerciale soutenue, le poids de l’habitude, l’attachement à l’enseigne ou la proximité selon les cas.
Le chiffre d’affaires remonte en Belgique. L’effet de la grève sur les comptes consolidés de l’ensemble du groupe n’a été que marginal.
Le projet de franchise progresse. Plus de deux cents dossiers de candidature pour la reprise d’un point de vente sont d’ores et déjà parvenus au siège du groupe.
Tout est sage, dans le village, le lion est mort ce soir. Pas vraiment donc, mais il gardera de cette passe d’armes une cicatrice douloureuse: celle d’une tradition de concertation sociale sacrifiée sur l’autel d’un management dur, brutal, impitoyable selon les points de vue.
Une cicatrice qui se matérialise aujourd’hui par un taux d’absentéisme inhabituellement élevé. Et par des actes de vandalisme à répétition. Pneus crevés, façades taguées, fenêtres cassées, serrures abîmées. Depuis quelque temps, ces actions se multiplient, revendiquées par un collectif anonyme qui «dénonce une vision de l’entreprise uniquement axée sur le profit».
C’est que, malgré une guerre des tranchées et une mobilisation massive et longue de plusieurs semaines, les syndicats des travailleurs du groupe n’ont – sans surprise – pas obtenu le retrait du plan de franchise. Cela n’a même jamais été porté à aucun agenda d’aucune réunion, d’aucun comité d’entreprise. Pas même un allégement à défaut d’un retrait. Aucune avancée n’a été engrangée sur une hypothétique harmonisation des conventions collectives qui régissent le secteur. Aucune victoire en justice n’a été obtenue. Aucune certitude sur le nombre d’emplois préservés n’a été emportée. Aucune procédure Renault n’a été enclenchée.
Ce vandalisme, aussi inacceptable qu’il soit, reflète cette frustration née dans la foulée d’un combat syndical dur et vain. Il matérialise une colère qui n’a pu être canalisée par un dialogue social ouvert et apaisé. Plus de rage, plus de carnage, le lion est mort ce soir. Rien n’est moins vrai.
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