Anne-Sophie Bailly
Pourquoi il faut couler l’Arizona dans du béton armé
Le temps long mis pour dessiner les contours de l’Arizona prouve la volonté des négociateurs d’approfondir chaque point, de sceller chaque détail pour que le futur gouvernement potentiel soit à même d’affronter toutes les tempêtes. Et qu’un socle en béton armé puisse compenser un évident manque de confiance.
Tant de choses sur lesquelles personne n’aurait misé début 2024 se sont concrétisées que bien téméraire serait celui qui se risquerait à jouer les Cassandre pour 2025. Notamment, peu d’observateurs de la vie politique auraient parié, le soir du 9 juin, qu’à quelques jours de Noël, la Belgique se retrouverait sans gouvernement fédéral. Arithmétiquement, les résultats des urnes laissaient, en effet, peu de place à la multiplicité des scénarios et le plus probable d’entre eux, l’Arizona, s’était rapidement imposé. Tout le monde était confiant: ça ne traînerait pas. Une bromance permettrait de trouver un dénominateur commun à des programmes éloignés, un axe centriste de rapprocher les points de vue, une volonté de gouverner d’apaiser l’inimitié entre certaines personnes. Ce gouvernement, on l’aurait pour la fin de l’été.
Mais l’échéance estivale a progressivement cédé le pas au timing postélections communales. Pour tenir compte du choix du citoyen ou d’une éventuelle inflexion dans la direction des votes. Et quand le scrutin local a globalement validé le scénario du gouvernement à cinq, les réunions de travail autour des «supernotas» ont repris de plus belle. Comme les fuites dans la presse. Des indiscrétions qu’il fallait comprendre comme des ballons d’essai, voire une manière d’exercer une pression externe sur les négociations, pas comme un quelconque climat de méfiance. D’ailleurs, ce gouvernement on l’aurait pour la Saint-Nicolas.
Un socle solide est indispensable pour compenser un évident manque de confiance.
Les bipartites, les lunchs informels et les rapports au roi se sont donc poursuivis. Et quand l’un des négociateurs a quitté la table parce qu’il se devait de prendre ses responsabilités face à une note positionnée trop à droite et que ses partenaires de la veille ont pris la température chez un autre équipier potentiel, c’était uniquement pour valider la non-concluance d’une hypothèse. Pas que ce claquage de porte ait été considéré comme un coup de canif dans le contrat. D’ailleurs, ce gouvernement on l’aurait avant la trêve des confiseurs.
Aujourd’hui, plus de six mois après le scrutin, le gouvernement Arizona reste aux abonnés absents. Même les entités fédérées commencent à déplorer ce défaut qui les handicape dans la mise en place de leurs politiques. «Avoir un gouvernement […] devient assez urgent. […] Notamment parce qu’une série de décisions au fédéral pourraient avoir des conséquences directes sur nos budgets, donc nos politiques», fustigent Elisabeth Degryse et Adrien Dolimont dans l’interview croisée qu’ils nous ont accordée. Car plus personne ne se risque encore à dire: «Ce gouvernement, on l’aura en 2024.» Même l’Epiphanie semble désormais trop proche.
De ce temps long ressort une certitude: la volonté évidente des négociateurs d’approfondir chaque point, de sceller chaque détail d’un futur accord de gouvernement, pour que l’Arizona soit à même d’affronter toutes les tempêtes. Et qu’un socle en béton armé puisse compenser un évident manque de confiance.
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