Juliette Debruxelles

Dick pics : l’exception masculine (chronique)

Envoyer des nudes sans qu’on ait rien demandé, c’est plus souvent un truc de mec. De la photo brute, sans prétentions artistiques, alors que les filles miseront davantage sur l’esthétique et l’image soft.

Le «Sunday dickpics», soit le «dimanche des photos de pénis» est un phénomène bien connu des personnes – en particulier des femmes hétérosexuelles cisgenre principalement citées ici en référence – inscrites sur les apps de rencontre.

A la faveur d’une fin de week-end pluvieuse et alanguie, certains hommes profitent du bain dominical ou d’une séance de masturbation prolongée pour se photographier le membre viril (et viral) dans sa plus belle expression. Tels des artistes amateurs fiers d’offrir à leurs proches leurs piètres oeuvres à la moindre occasion, ces self-photographes se disent qu’il serait tout de même dommage de ne pas réveiller la reluqueuse supposée sommeiller en certaines.

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Selon une étude publiée en 2019 par TheJournal of Sex Research, 44% des hommes enverraient des dickpics dans un «esprit transactionnel», la moitié d’entre eux espérant recevoir des «photos sexy en retour».

Si nous étions en laboratoire lors de la réception de ces joliesses, l’œil exercé trierait le grain de l’ivraie. Pénis de chair ou de sang? Prépuce présent? Fripé comme un vieux napperon de mamie? Epousant à merveille les contours du gland? Urètre capable d’accueillir une tête d’épingle ou un roseau? Pilosité excessive, testicules glabres?

Mais nous ne sommes pas en laboratoire. Il est donc question, pour les plus sollicitées (ou harcelées), de choisir son goujon sur un catalogue aléatoire dans lequel taille, couleur, dureté et pliure sont exposées.

Outre la réception de photos non sollicitées qui s’apparentent à une agression (certes visuelle mais réelle), reste la qualité desdits clichés accueillis joyeusement au cours d’une «sex-conversation» virtuelle.

Si pour les gars, toute une promesse tient dans une dizaine de centimètres, les femmes, elles, seraient plus enclines à envoyer des nudes de différentes parties de leur anatomie, rendant l’exercice plus créatif, plus esthétique, souvent plus soft.

L’observation empirique semble indiquer qu’il est plus fréquent pour une femme d’adresser à un interlocuteur consentant son désir au moyen d’une photo de ses seins, de ses fesses, de sa bouche d’où sort une langue gourmande qu’un cliché détaillé de ses lèvres intimes, de l’entrée de son vagin ou de son anus en gros plan.

La vénération ancestrale du phallus dans sa fonction pénétrative et performante – tout comme la banalisation et l’érotisation de la nudité féminine à travers les médias – a laissé des traces tenaces. Les filtres utilisés pour lécher les photos font des merveilles sur une cuisse féminine jugée trop marbrée (par elle-même ou d’autres).

Mais quid de la fonction «lisser-étirer-remodeler la photo» sur une image de pénis sans lui enlever son naturel maladroit? S’il est possible de se tailler un corps de sirène du bout de l’index, existe-t-il des algorithmes capables de rendre le sexe masculin conforme aux critères inatteignables de l’imagination? A priori, non (il y a du fric à se faire, pourtant).

Un homme qui envoie des photos de ses jambes, de sa nuque? Quel intérêt?

Un homme qui envoie des photos de ses jambes, de sa nuque? Quel intérêt dans un monde concurrentiel où la taille du sexe reste une préoccupation douloureuse pour beaucoup? Un biceps ou des pectoraux musclés, passe encore… Mais un pénis au repos, «ça, jamais!» crieront la majorité des gens, d’où qu’ils soient du côté de l’écran.

Et que faire de ces photos une fois réceptionnées? Les effacer. Parce qu’à moins de se lancer dans une collection à ressortir à l’occasion pour faire rire les copines, l’intérêt reste minime.

Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.

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