Carte blanche
Devenir propriétaire d’une éolienne, un moyen pour maîtriser le prix de l’électricité ? (carte blanche)
Normalement, les coopératives citoyennes sont censées pouvoir participer au développement de l’éolien en Wallonie. Mais les opérateurs privés font tout pour rendre cette participation financièrement impossible, regrette Didier Goetghebuer, président d’une coopérative. Qui propose plusieurs solutions.
La reprise économique après la période Covid a fait augmenter les prix des énergies. Dans la foulée, la guerre en Ukraine a amplifié la hausse des prix et a montré notre extrême dépendance aux pays exportateurs d’énergies « conventionnelles ».
La transition énergétique passe notamment par la croissance de l’électromobilité et des pompes à chaleur. Pour que cette révolution soit durable pour l’environnement, notre société et ses citoyens, il est obligatoire que la production d’électricité soit plus abondante, décarbonée et à prix maîtrisé.
Le développement colossal des énergies renouvelables et de l’éolien en particulier est inéluctable. Comment la réussir ?
Comme Engie et Luminus, qui sont à la fois producteur et fournisseur d’électricité, les coopératives de production d’électricité (fédérées au sein de Rescoop Wallonie) ont créé Cociter qui joue le rôle de fournisseur d’électricité. En janvier 2022, Cociter a tiré la sonnette d’alarme. Elle a vu, en quelques mois, les prix d’achat de l’électricité sur les marchés (« Spot ») passer de 4c€/kWh à plus de 20c€/kWh et a dû continuer à honorer les contrats de fourniture à prix fixes à ses clients. Les coopératives citoyennes (CC) ont alors vite compris qu’il était plus avantageux pour leurs coopérateurs d’avoir un prix de l’électricité plus bas plutôt qu’un dividende, plafonné à 6%, et que l’un n’excluait pas l’autre[1].
Les CC qui n’avaient pas vendus leur électricité par avance ont alors accepté de plafonner leur prix de vente de l’électricité à Cociter sous les prix du marché Spot, sans mettre en danger la pérennité de leur coopérative. Cette décision unanime au sein des CC permet ainsi à Cociter de proposer un prix de l’électricité parmi les meilleurs du marché et d’ainsi tirer les prix à la baisse.
Cependant cette intelligence collective citoyenne n’est durable que si Cociter peut répondre à l’accroissement de ses clients en continuant à s’approvisionner auprès des CC et que celles-ci ont suffisamment de production pour assurer les volumes nécessaires.
Comment restaurer une véritable part citoyenne avec Pax Eolienica 2.0 ?
Dans le cadre de référence de développement de l’éolien wallon de 2013, il est prévu que les sociétés privées de développement de l’éolien doivent permettre aux CC d’entrer dans les projets éoliens à hauteur de 25%. La plupart des développeurs privés jouent le jeu du cadre de référence en promettant aux CC de rentrer dans le projet. Cependant, ces sociétés d’investissement, conscientes que ce marché est « juteux », fixent souvent des conditions d’entrée financières exorbitantes qui empêchent, in fine, la participation des CC aux projets. En Allemagne, les coopératives citoyennes pèsent pour près de 50% de l’éolien ; en Wallonie elles ne pèsent que 3% de l’éolien au lieu des 25% escomptés !
Un combat contre Goliath perdu ?
La décision commune des coopératives citoyennes et de Cociter début 2022 montre qu’une réappropriation citoyenne des moyens de production et du prix de l’électricité reste possible. Celle-ci n’est cependant durable qu’aux conditions suivantes :
- Que le monde politique comprenne l’opportunité d’impliquer les citoyens et de maîtriser les prix de l’électricité
- Que la « Pax Eolienica », en cours de révision par les pouvoirs publics et qui doit permettre un développement plus rapide et plus harmonieux de l’éolien, précise un certain nombre d’obligations pour les développeurs privés. Parmi celles-ci, nous pensons qu’il est indispensable que les développeurs privés précisent, en toute transparence, à quelles conditions techniques et financières ils acceptent que les coopératives citoyennes entrent dans les projets éoliens en développement.
Tout comme elles vérifient déjà les conditions légales et environnementales avant d’accorder le permis, il est nécessaire que les autorités publiques vérifient également que les conditions technico-financières de participation des CC sont économiquement réalistes. Si ces conditions ne sont pas respectées, l’autorité publique pourrait, par exemple, ne pas octroyer les certificats verts.
Que massivement les citoyens comprennent l’enjeu de société et acceptent d’investir dans les CC pour se réapproprier les moyens de production et mieux maîtriser les prix de l’électricité.
Si ces conditions ne sont pas remplies, nous nous retrouverons demain avec l’éolien comme aujourd’hui avec le nucléaire. Nous, « consommateurs », auront payé, par le biais des CV, les investissements éoliens des grands groupes financiers étrangers et nous en garderons seulement les nuisances. Nous aurons laissé passer la chance de nous réapproprier une partie de nos moyens de production et d’ainsi maîtriser les prix de l’électricité.
Didier Goetghebuer, président de Champs d’Energie, coopérative citoyenne
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