Gaetan Van Goidsenhoven
Décolonisation de l’espace public: évitons le « vandalisme d’Etat » (carte blanche)
Fin juin, une statue d’Emile Storms a été déboulonnée à Bruxelles (Ixelles). Selon le député MR Gaetan Van Goidsenhover, la volonté de décoloniser l’espace public ne peut pas tout justifier
Le 30 juin dernier, la statue du lieutenant-général Emile Storms, réalisée en 1906 par le sculpteur Marnix D’Haveloose, a été déboulonnée du socle sur laquelle elle reposait au Square de Meeûs à Ixelles.
Cette initiative a été ordonnée par le Collège communal d’Ixelles (majorité Ecolo-Groen-PS-Vooruit) et plus particulièrement par son bourgmestre Christos Doulkeridis qui, dès son entrée en fonction en 2018, annonçait vouloir retirer la sculpture de l’espace public pour la placer dans un musée.
S’il n’est pas question ici de rentrer dans le débat relatif à la légitimité symbolique de pareil déboulonnage, le général Storms s’étant en effet illustré pour une expédition particulièrement cruelle en 1884 qui fit une soixantaine de morts, la méthode employée pose en revanche gravement question.
Car le retrait de la statue était tout simplement illégal !
Le buste du Square de Meeûs était en effet classé au titre de monument historique depuis le 8 novembre 1972. Pour procéder à son déboulonnage, outre l’impératif d’un avis de la Commission royale des Monuments et des Sites, la commune d’Ixelles devait disposer d’un permis d’urbanisme conforme, délivré par l’administration régionale bruxelloise (Urban).
Or, si une demande de permis avait bien été déposée par la commune d’Ixelles en 2020, le dossier avait été jugé incomplet par l’administration régionale, qui demandait davantage de compléments d’informations. Ces informations furent par la suite complétées, mais la demande de permis était entre-temps devenue caduque, de sorte qu’il fallait introduire une nouvelle demande.
Alors qu’elle devait pertinemment savoir que la réglementation n’était pas respectée, la majorité ixelloise ne s’est pas encombrée de pareille procédure
Alors qu’elle devait pertinemment savoir que la réglementation n’était pas respectée, la majorité ixelloise ne s’est pas encombrée de pareille procédure : elle a décidé de procéder au retrait de la sculpture classée sans disposer de permis…
Interrogé sur cette question au Parlement bruxellois, Pascal Smet, le Secrétaire d’Etat en charge de l’Urbanisme et du Patrimoine, a reconnu que l’acte de retrait était illégal mais a ajouté qu’il ne « s’agissait pas d’un drame national », qu’il avait demandé à la commune d’Ixelles d’introduire une demande de permis a posteriori et que cette régularisation serait de toute façon accordée.
Cette attitude vis-à-vis d’un bien patrimonial classé, émanant d’un responsable politique précisément en charge de veiller à la protection du patrimoine bruxellois, est en tout point condamnable.
Dans un contexte où la gestion des permis d’urbanisme à Bruxelles demeure toujours calamiteuse – la longueur des délais étant dénoncée par tous les acteurs de l’immobilier et de la construction – quel signal envoie-t-on aux citoyens bruxellois, qui attendent parfois pendant des années pour se voir délivrer un simple permis pour la terrasse de leur appartement ou pour régulariser la zone de recul aménagée devant leur petite maison ?
La volonté politique de certains de « décoloniser » à tout prix notre espace public rend-elle acceptable qu’on viole à ce point les procédures réglementaires, qui plus est pour une sculpture historique classée ? Qui peut nous dire jusqu’où ira ce « démantèlement de la ville coloniale », à quelles autres initiatives de liquidation de monuments allons-nous assister dans les mois et les années qui viennent et ceci en dépit de la loi ?
La fin justifie-t-elle les moyens, en violation des règles urbanistiques élémentaires et au mépris des Bruxellois, qui ne pourront quant à eux jamais disposer de pareils passe-droits ?
Pareille dérive fait, il est vrai, écho aux recommandations du groupe de travail sur la décolonisation de l’espace public bruxellois, qui affirme que « dans le cas des monuments commémoratifs coloniaux, la notion de vandalisme doit être nuancée ».
Est-ce vraiment en se dirigeant vers un délitement de notre Etat de droit et vers une nouvelle forme de « vandalisme d’Etat » qu’on réussira à renforcer le « dialogue des cultures » et à réparer les blessures du passé ?
Gaëtan Van Goidsenhoven, députe bruxellois, sénateur, chef de Groupe MR au Sénat, député au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Les prémices de la décolonisation de l’espace public bruxellois : vers un vandalisme d’Etat ?«
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