Sophie Rohonyi

Dans le pays le plus riche du monde, l’homme le plus pauvre est un enfant

Sophie Rohonyi Députée fédérale DéFI

Une carte blanche de Sophie Rohonyi, députée fédérale (DéFi) et présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique.

L’homme le plus pauvre de Belgique est une femme. Une réalité dûe à l’écart salarial et de pension, les discriminations à l’embauche et durant la carrière, les métiers essentiellement féminins peu valorisés, le risque accru de se retrouver seule avec enfants ou confrontée aux violences…

Cette terrible réalité en cache une autre: le citoyen le plus pauvre de Belgique est un enfant! Selon l’UNICEF, la Belgique possède l’un des taux de pauvreté infantile les plus élevés d’Europe. A Bruxelles, 4 enfants sur 10 grandissent dans la pauvreté, 1 sur 4 en Wallonie et 1 sur 10 en Flandre.

Concrètement, ces enfants sont quotidiennement confrontés à la déprivation matérielle: privés de livres pour apprendre, d’espaces calmes pour se reposer ou étudier, d’espaces de jeux pour s’aérer,… mais aussi de logement chauffé, de repas chaud et équilibré, de médicaments, de chaussures à la bonne pointure…

Une situation aggravée par la crise sanitaire, la crise énergétique, la guerre en Ukraine, l’inflation… En 2023, le budget nourriture minimum mensuel pour une famille avec enfants âgés de 4 à 11 ans est passé à 718 euros!

Comment subvenir aux besoins de ses enfants avec un salaire net de moins de 2000 euros, a fortiori quand on est parent solo, si l’on doit y ajouter le loyer, les factures d’énergie, les frais scolaires, les dettes…?

La pauvreté des parents engendre donc celle de leurs enfants, augmentant sensiblement le risque d’exposition aux violences intrafamiliales, à l’exploitation sexuelle, à la mendicité, à la dépression, à l’obésité, à l’échec scolaire… quand ils ne sont pas arrachés à leurs parents.

En effet, impuissants malgré leurs sacrifices, malgré leurs efforts pour jongler entre plusieurs boulots, quitte à totalement s’oublier, de plus en plus de parents sont confrontés au “paradoxe du frigo”:  il doit être vide pour obtenir une aide du CPAS, mais rempli lors d’une visite de l’aide à la jeunesse.

Certains enfants sont alors placés, non pas parce que leurs parents ont été violents à leur égard, mais parce que la société ne les a pas protégés d’une précarité qui les prive de leurs droits fondamentaux.

Chaque fin d’année, l’émission Viva For Life souligne l’émoi que suscite la pauvreté des enfants auprès de la population. A cette occasion, les autorités n’hésitent pas à participer aux dons. Une attitude indécente quand on sait que ce sont ces mêmes autorités qui, au mieux n’agissent pas contre la pauvreté, au pire l’aggravent. Certains y vont ainsi l’occasion de se déresponsabiliser, tout en redorant son blason.

Il n’en reste pas moins que Viva For Life permet de sensibiliser l’opinion publique à une injustice qui déchire le coeur: chaque année, les enfants touchés par la pauvreté nous font part de leur rêve: un bain chaud, un repas chaud, un plumier, aller au cinéma, partir en classe de mer…

Au lieu de vivre une période d’innocence et d’insouciance, au lieu de rêver de devenir astronautes ou vétérinaires, ces enfants rêvent… de vivre.

Une réalité d’autant plus insupportable qu’elle s’observe dans le pays le plus riche du monde, si l’on en croit le Global Wealth Report de Credit Suisse.

La Vivaldi s’est cassée les dents sur sa réforme fiscale. Cette dernière reste pourtant indispensable pour soutenir les bas et moyens revenus qui n’ont pas d’épargne à investir dans un bon d’Etat.

Chaque jour, des familles pauvres se précarisent, des familles de classe moyenne tombent dans la précarité, étranglées par ces factures qui s’affolent.

Est-ce pourtant si difficile de dépasser les clivages partisans pour s’accorder sur le relèvement de la quotité exemptée d’impôt au seuil de pauvreté et sur l’augmentation de la progressivité de l’impôt, pour éviter que ceux qui sortent à peine la tête hors de l’eau ne se retrouvent noyés par trop d’impôts?

Est-ce si difficile de concrétiser la gratuité scolaire, principe consacré à l’article 24 de notre Constitution, quand on sait que l’enseignement est le troisième poste d’affectation de nos impôts après les pensions et les soins de santé?

Une gratuité scolaire qui concerne tous les frais scolaires et tous les élèves, pas celle qui vient d’entrer en vigueur en Fédération Wallonie-Bruxelles et qui exclut les élèves de la troisième à la sixième primaire, ainsi que les manuels scolaires, la surveillance du temps de midi, la garderie, la piscine, les activités culturelles…

Est-ce si difficile de ne plus abandonner les familles monoparentales à leur sort en développant une vraie politique d’accueil de la petite enfance, en mettant en place des congés d’articulation vie privée/vie professionnelle…?

Il y a un mois, la Chambre des représentants adoptait une loi prévoyant l’adoption obligatoire d’un plan fédéral de lutte contre la pauvreté dans les 12 mois de son installation.

Nous savons tous toutefois que le poids des extrêmes et l’organisation des élections communales en octobre 2024 rendront la formation d’un gouvernement fédéral de plein exercice extrêmement difficile et longue.

Or, dans notre lutte contre la pauvreté, qui devrait être une priorité politique de tous les instants, et non uniquement durant les élections, chaque minute compte. Nous ne pouvons pas dire aux enfants que nous agirons pour eux quand ils seront adolescents!

J’entends déjà les politiques les plus conservateurs grincer des dents: “Oui, mais çà coûte cher!”

Je leur réponds: Quand on parle de l’avenir et même de la survie physique, mentale et sociale des adultes de demain, il ne devrait pas y avoir de mais!

Nous devrions tous avoir le réflexe de voir la lutte contre la pauvreté des enfants, ces êtres vulnérables que nous devons protéger, comme un investissement dans le capital humain et dans notre société!

Ne pas investir dans ce capital revient à condamner deux millions de nos concitoyens pour l’avenir.

Compromettre leur droit à la santé, à la sécurité et à l’épanouissement aujourd’hui, c’est les priver de toute perspective d’avenir demain.

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