François-Xavier Druet
Comment les réseaux sociaux dérégulent l’éducation des enfants
Une carte blanche de François-Xavier Druet, Docteur en Philosophie et Lettres et enseignant à l’UNamur.
Évoquer les dérives et les ravages des réseaux sociaux est devenu un lieu commun. Les avancées accélérées de l’intelligence artificielle avivent cependant les inquiétudes de celles et ceux dont les réseaux sociaux n’ont pas encore anesthésié le libre arbitre. Les cris d’alarme que poussent aujourd’hui les initiateurs de la course effrénée aux algorithmes suffiront-ils à déclencher une régulation humaine et humaniste de ce tsunami du « big data » ? Car les enfants sont devenus les proies des réseaux sociaux.
L’urgence est là. Tous les usagers – et indirectement tous les hommes – ont raison s’ils se sentent menacés d’être dépossédés de toute autonomie. Mais la situation la plus préoccupante n’est-elle pas celle des enfants, ballottés comme des fétus de paille dans un torrent boueux ?
Les réseaux sociaux affectent l’éducation des enfants
En Belgique comme en France, l’âge légal pour ouvrir un compte sur les réseaux est de 13 ans. La Belgique aime croire que « seulement » 1 enfant sur 4 entre neuf et dix ans est déjà présent sur les réseaux. Une étude française considère que 87 % des enfants de 11-12 ans utilisent au moins un réseau social en France.
La rapidité de cet engouement a pris de vitesse toute tentative de mettre au œuvre une éducation précoce aux médias sociaux, qu’en principe la limite légale de treize ans ne justifie pas. Dès lors, les enfants sont livrés sans défenses aux influences débridées des réseaux sociaux, qui les agressent et les (dé)forment. Et même à quatorze ans, un jeune a-t-il perçu et intégré les limites de ce qu’on peut dire et faire sur les réseaux ? Alors que tant d’adultes se montrent eux-mêmes tout à fait dépourvus de ce discernement.
Qui, tout jeune, dispose des moyens de survivre dans cette jungle hostile ?
François-Xavier Druet
Les réseaux sociaux, un ramassis de mauvaises fréquentations
De tout temps, les parents ont jugé important de savoir qui leurs enfants fréquentent. Ils veulent les prémunir contre les « mauvais compagnons » qui risqueraient de les entraîner sur une mauvaise pente. Or, sur le net, les « amis » se multiplient à l’infini et la surveillance en devient quasi impossible.
Qui, tout jeune, dispose des moyens de survivre dans cette jungle hostile ? Qui, tout jeune, sait déjà quels mots éviter pour ne pas harceler et où chercher de l’aide s’il est lui-même la cible et veut désamorcer le désespoir ? Qui, tout jeune, sait déjà se valoriser à ses propres yeux et à ceux des « amis » sans se lancer à corps perdu – stricto sensu parfois – dans des défis insensés ? Bien peu en sont capables. Témoins, entre autres, les vidéos d’agressions dont le seul but est de figurer sur internet et d’appâter un maximum de voyeurs.
Qui encore à cet âge ne sera pas facilement mystifié par les manipulateurs et englué dans des relations plus que douteuses ? Alors que tant d’adultes sont eux-mêmes piégés par de tels imposteurs. Quels jeunes échapperont à l’engrenage fatal des jeux de hasard conçus pour les asservir ?
Qui pour décréter l’indispensable embargo ?
Pareilles inquiétude appellent une réaction sans délai et sans concession. De qui peut-elle venir ? En premier, les parents gardent la main, si leur autorité et leur présence assurent une éducation familiale assez suivie pour accompagner les jeunes dans leur usage des réseaux. Mais combien d’enfants et de jeunes ne bénéficient pas de cette attention parentale ou s’arrangent pour la leurrer ?
Que les pontes des réseaux sociaux ne s’estiment pas non plus exemptés de toute réflexion éthique. Celle-ci pourrait les amener à inverser les priorités : privilégier la protection les enfants, quitte à les tenir à l’écart, plutôt qu’en attirer et en assujettir le plus grand nombre par obsession de rentabilité.
Quant aux pouvoirs publics, qu’ils cherchent à peaufiner une législation qui ne soit pas en perpétuel retard sur l’évolution – ultrarapide – des technologies. Que la loi soit applicable. Que son application soit suivie de beaucoup plus près que ce n’est le cas jusqu’ici.
Un volontarisme intransigeant de toutes les parties aurait sans doute sa chance : pourquoi ne rendrait-il pas – enfin – sociaux les réseaux ? Même pour les enfants.
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