Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux: sans être nationaliste, le Canon historico-culturel n’éteint pas le débat en Flandre

Pierre Havaux Journaliste au Vif

La Flandre possède son catalogue officiel d’événements, de personnages, de lieux ou de traditions qui ont fait et/ou font toujours sa fierté. Controversé avant même sa confection en raison de la vocation nationaliste qu’on lui prêtait, le Canon van Vlaanderen voulu par le gouvernement Jambon (N-VA – CD&V – Open VLD) mais surtout par le parti de Bart De Wever, est globalement salué pour l’équilibre et l’habilité de ses choix sans pour autant désarmer ses détracteurs, pour des raisons diamétralement opposées.

“Il était attendu de pied ferme, le suspense en devenait presque insoutenable. Et? Et le Canon van Vlaanderen est arrivé. Sans trop se presser, avec six mois de retard sur l’horaire prévu, au bout de deux bonnes années consacrées par une poignée d’experts à le fondre et à l’affûter. Au final, un beau gros canon, calibré sur 320 pages, qui donne enfin à la «nation flamande» de quoi mieux se repérer dans son patrimoine historique et culturel foisonnant. Voici donc exaucé le vœu controversé du gouvernement Jambon (N-VA – CD&V – Open VLD) de mettre à l’agenda politique une identité flamande décomplexée en faisant advenir une «liste de points d’ancrage de la culture, de l’histoire et des sciences flamandes», à user dans les écoles ou à insérer dans le parcours d’intégration des nouveaux arrivants en Flandre. On y subodorait évidemment quelque intention partisane dans le chef de sa composante nationaliste.

Personnages, lieux, objets, us et coutumes, patois, nombreux étaient les candidats à pouvoir prétendre entrer au Panthéon et occuper l’une des soixante «fenêtres» ouvertes comme autant de portes d’entrée sur la «casa Flandria». Le commun des mortels, Flamands ou autres, est invité à y passer la tête pour découvrir ce qui fait ou a fait le sel, le charme, la grandeur et la fierté de ce bout de plat pays depuis les temps les plus reculés.

Il y en a pour tous les goûts. Les incontournables avec, dans le désordre: la bataille des Eperons d’Or en 1302, le «Vlaamse Leeuw», ce sacré Charlemagne, Pieter Brueghel, la tour de l’Yser, L’Adoration de l’Agneau mystique, le Ronde van Vlaanderen cycliste, Rock Werchter, la cultissime série télé F.C. De Kampioenen, la frontière linguistique, la crise de la patate au XIXe siècle, le mariage gay, les croustillons à la kermesse, la chasse aux sorcières au XVIe siècle et même le monumental Jacques Brel qui fut pourtant si peu aimable envers les flamingants. Mais aussi la collaboration durant la dernière guerre, sobrement évoquée.

Choisir, c’est savoir renoncer et surprendre. D’illustres inconnu(e)s, tel le moulin à vent médiéval de Wormhout ou Paul Panda Farnana, l’un des premiers Congolais diplômés en Belgique, ou encore ce recueil malinois de chants du XVe siècle ont été préférés au Père Damien, le célébrissime missionnaire, à l’illustrissime poète du XIXe Guido Gezelle ou à la délicatissime Question royale qui traumatisa durablement la Flandre.

La tentation ouvertement nombriliste de l’entreprise ayant été déjouée, rien dans ce Canon qui puisse véritablement donner matière à criser. Pas de quoi non plus démobiliser ses détracteurs. Ceux qui persistent à lui trouver un fondement foncièrement nationaliste sont rejoints par ceux qui y découvrent horrifiés comme on peut l’être au Vlaams Belang, «la présence d’éléments multiculturels qui n’ont rien à voir avec la Flandre» et réduisent à néant l’espoir d’«un projet identitaire vivifiant».

La réplique du commanditaire de l’ouvrage, Ben Weyts (N-VA), ministre de l’Enseignement, est facilitée. Il lui a suffi d’accommoder au sujet du jour le cri inscrit au patrimoine personnel d’un Wout van Aert arc-bouté sur sa bécane: «De canon moet «just niks»».

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