Pierre Havaux
Vent du Nord de Pierre Havaux : pourquoi Jan Jambon ne réhabilitera pas les sorcières jadis brûlées en Flandre (chronique)
Leur fin atroce sur le bûcher, voici plusieurs siècles, émeut un peu partout en Europe où les réhabilitations officielles des victimes de crime de sorcellerie se multiplient. La Flandre ne reste pas non plus insensible à la chasse aux sorcières dont elle fut le théâtre aux 16e et 17e siècles. Mais alors que plusieurs communes posent des actes réparateurs, Jan Jambon (N-VA), chef du gouvernement flamand, ferme la porte à l’idée d’une réhabilitation générale au nom d’une Flandre politiquement étrangère à ce « féminicide institutionnalisé ».
Diable. Un pacte prétendument scellé avec le Malin ne pardonnait pas et vous menait droit au bûcher. Il en a fait des ravages, le crime de sorcellerie. Un carnage étalé sur quatre siècles et que certains qualifient de meurtres de masse organisés, comparables à la traite coloniale des esclaves ou à l’extermination en camps de concentration nazis.
Mille pardons pour les «sorcières», pour leur fin atroce longtemps oubliée ou minimisée mais qui finit par émouvoir. Allemagne, Norvège, Ecosse, Catalogne, les mea culpa officiels se multiplient envers ce qui releva d’un «féminicide institutionnalisé», dixit Pere Arangonès, président du parlement catalan, tant il est vrai que les femmes ont payé, et de très loin, le plus lourd tribut au règne de la superstition et de l’obscurantisme.
La longue marche vers une réhabilitation gagne aussi la Flandre, théâtre d’une chasse aux sorcières particulièrement intense aux XVIe et XVIIe siècles, en témoignent les quelque trois cents procès recensés à leur encontre. C’est bien assez pour être saisi de remords, même tardifs, après tant de supplices infligés à ces boucs-émissaires accusées de tous les maux que l’on ne s’expliquait pas, famines, peste, catastrophes naturelles. A Nieuport dès 2012, Lierre, Dixmude, Gand, Ostende, Menin, leur calvaire est à l’agenda et fait débat. Ici, on présente des excuses, là on songe à un devoir de mémoire au travers d’une plaque de rue, voire d’un monument. Le combat ne va pas forcément de soi. A Ostende, Lievine-la-sorcière, veuve à 20 ans, envoyée au bûcher en 1605 pour «péché de chair», n’a pas trouvé grâce aux yeux d’une majorité du conseil communal qui a récemment recalé sa réhabilitation. «Le corona, l’Ukraine, les prix de l’énergie, les charges salariales. Pour parler sorcellerie, nous avons d’autres chats noirs à fouetter», a cru bon de justifier l’échevin CD&V du patrimoine.
La longue marche vers une réhabilitation gagne aussi la Flandre.
Ce n’est pas l’avis de la mouvance féministe qui fait désormais sienne cette cause, à ses yeux d’une brûlante actualité alors que le sexisme a la vie dure et que les chasses aux sorcières restent de saison.
Décréter une journée de commémoration, obtenir un pardon officiel pour tant de victimes innocentes: ce n’est tout de même pas sorcier, non? Si, répond le ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA), invité par voie de pétition à poser un geste qui ne viendra donc pas. Non pas que soit mise en doute la terrible injustice historique. Mais que la Flandre d’aujourd’hui doive s’en excuser, «c’est une autre question» qui n’a pas lieu d’être soulevée, considère le dirigeant nationaliste flamand qui connaît son histoire. Comment exiger sérieusement de la Région flamande de 2022 qu’elle s’identifie juridiquement au comté de Flandre, au duché de Brabant, à ces Pays-Bas méridionaux sous régime espagnol, là où ont été commis des forfaits perpétrés voici quatre cents ans? Tout cela manque de sens et n’appelle qu’une sentence: «Il n’appartient pas aux autorités flamandes d’entreprendre des actions en matière de réhabilitation.» Prière de s’adresser à l’échelon local ou, à la rigueur, suggère le ministre-président, à l’Etat belge, mieux à même d’endosser le statut de vague héritier de ces pouvoirs d’un autre âge. Si l’échelon fédéral peut encore être d’une quelconque utilité…
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