Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux: Huts, le milliardaire qui veut transformer l’iconique Boerentoren à Anvers, sous le feu des critiques

Pierre Havaux Journaliste au Vif

Du haut de ses 95,7 mètres, le premier gratte-ciel à s’être élevé dans le ciel européen tremble sur ses fondations. Son nouveau propriétaire, le flamboyant homme d’affaires anversois Fernand Huts, songe à coiffer la « Tour des Paysans » d’une volumineuse structure en verre digne de sa nouvelle vocation de temple dédié à l’art. La perspective qu’il soit ainsi porté atteinte à ce joyau Art déco du patrimoine architectural anversois déclenche une levée de boucliers.

Il voit toujours grand, il ne s’interdit plus de voir haut. Fernand Huts frappe encore. Un phénomène dans son genre, en Flandre, que cet Anversois pur jus, 72 ans, milliardaire – onzième fortune de Belgique –, éphémère élu du peuple sous bannière Open VLD le temps d’y rafler le titre de champion de l’absentéisme parlementaire, pour revenir à ses amours de toujours, les affaires qui lui réussissent plutôt pas mal.

Le propriétaire du géant mondial de la logistique Katoen Natie – 13 000 emplois –, devenu grand collectionneur d’art, est homme à ne rien se refuser. Pas même de soumettre à une certaine folie des grandeurs sa dernière acquisition immobilière d’envergure dans sa ville natale en 2020, l’iconique Boerentoren ou tour des Paysans ainsi nommée parce que due à la puissante banque du Boerenbond.

Fernand Huts envisage un avenir glorieux pour cette structure d’acier de 95,7 mètres de haut qui, depuis 1931, domine un ciel anversois que la tour nord de la cathédrale gothique culminant à 123 mètres est seule à lui disputer. L’homme d’affaires veut faire de l’ex-tour KBC un temple de la culture, le réceptacle de collections d’art privées, à commencer par la sienne, pour le plaisir des yeux du commun des mortels et pour la plus grande fierté des Anversois. Il va de soi que pareille reconversion exige un relooking de l’édifice actuellement sous traitement pour cause d’asbeste, à la hauteur d’une attraction architecturale d’envergure internationale. Son sommet serait ainsi gratifié d’une volumineuse couronne de verre accessible par une proue elle aussi transparente, agrémentée de jardins verticaux et pourvue d’ascenseurs et d’escaliers de secours. Depuis ces espaces événementiels, vue imprenable garantie sur la fière cité portuaire.

Les milieux de l’architecture dézinguent un projet jugé mégalo, de très mauvais goût, témoin d’une vision architecturale dépassée.

Pour mener à bien ce chantier un brin pharaonique, Fernand Huts ne s’est une fois encore rien refusé, pas même les services de la crème de l’architecture internationale en la personne de Daniel Libeskind, connu entre autres pour avoir orchestré le masterplan du ground Zero à New York. «C’est à nous, promoteur privé, à penser grand et à ne pas opter pour le médiocre», a claironné le patron en présentant à la presse ses intentions qu’il n’avait pas jugé utile de communiquer au préalable aux autorités communales, ni au pouvoir régional qui auront fatalement leur mot à dire dans ce dossier urbanistique.

Il est comme ça, Fernand Huts. Rarement mécontent de faire parler de lui et d’allumer une mèche. «Une ville sans débat est une ville morte», annonce-t-il, comme pour inviter à ouvrir les hostilités à son projet. Sur ce plan, monsieur est déjà servi tant les critiques fusent, la polémique enfle et les milieux de l’architecture donnent de la voix pour majoritairement dézinguer un projet jugé, pêle-mêle, mégalo, de très mauvais goût, témoin d’une vision architecturale dépassée, bref indigne de ce joyau Art déco du patrimoine architectural anversois. «Je me fais du souci lorsque le capitalisme néolibéral adopte un comportement de bulldozer», ose l’ancien bouwmeester flamand. Il est écrit qu’on ne touchera pas sans résistances à l’intégrité de ce qui fut le premier gratte-ciel à s’élever dans le ciel européen. C’est pas Dubaï ici.

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