Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux : comment se meurt le latin, facteur de réussite professionnelle (chronique)

Pierre Havaux Journaliste au Vif

A la rentrée, plus aucune école supérieure ne formera encore de futurs profs de latin en Flandre où ne subsistera plus que la filière universitaire. C’est un coup peut-être fatal à terme ainsi porté en milieu scolaire à cette langue morte mais tellement riche alors que, les statistiques le prouvent, son apprentissage en humanités dope les chances de réussir sans encombre des études supérieures et favorise donc la réussite sur le plan professionnel.

Le coup porté est rude, potentiellement mortel. Il précipite un peu plus le latin sur la voie du déclin. A la prochaine rentrée scolaire, la Flandre aura perdu la dernière possibilité de se former à son enseignement en école supérieure. La haute école Artevelde, à Gand, a décidé à son tour de jeter le gant. Par manque d’intérêt, faute de combattants, en raison d’un rapport coût-bénéfice défavorable, argumente la direction. Ne restera donc plus que la voie universitaire à emprunter, à Louvain et à Gand, pour décrocher le diplôme de master qui rend apte à enseigner le latin dans l’enseignement secondaire. Là non plus, on ne se bouscule plus guère au portillon: quinze étudiants inscrits à la KULeuven, treize à l’UGent.

Opter pour une orientation en math-grec, latin-math ou latin-grec en humanités dope les chances de réussir sans accroc dans le supérieur.

Exit, donc, la filière de bachelier dispensée dans des établissements à taille plus humaine et prisée pour un accompagnement scolaire plus convivial. Ben Weyts (N-VA) est un ministre de l’Enseignement supérieur qui prend acte, à regret, d’une décision qui engage un peu plus encore le pronostic vital d’une langue morte mais si riche en apport culturel. Comment s’y opposer sans malmener la liberté de programmation reconnue aux établissements d’enseignement? «On peut agir de manière autoritaire, on ne peut commander l’ambition et la passion», philosophe Ben Weyts, alors que rien ne paraît pouvoir enrayer la désaffection, pas même cette décision prise en 1989 de permettre au détenteur d’un master d’être payé comme tel, même s’il donne cours de latin au degré inférieur, «une exception qui ne semble pas être un « magic trick »», admet le ministre dans son meilleur anglais. Peut-être faudrait-il accrocher le latin au wagon des langues modernes enseignées, néerlandais, français, allemand, anglais, en faisant le pari que «se montrer sensible au latin, c’est souvent l’être aussi aux langues».

Gare aux effets secondaires de l’extinction de la filière. Car un élève sans prof, c’est comme une soupe sans sel. Et c’est la crainte de perdre une source précieuse de savoir-faire qui plane sur l’enseignement flamand où 32 000 élèves se frottent encore au latin dans le secondaire. «Lorsqu’on observe les taux de réussite en enseignement supérieur, on voit que les étudiants en sciences commerciales qui ont suivi le latin-grec en humanités, décrochent de meilleurs résultats que ceux qui ont suivi l’option économique.» C’est l’inestimable valeur ajoutée d’une formation en langues classiques que relève ainsi le député régional Koen Daniëls, spécialiste de l’enseignement à la N-VA, et qui parle d’expérience: «Après ma formation en secondaire, j’ai pu constater que c’est moins au cours de néerlandais qu’en latin que j’ai appris les figures de style, la grammaire, la capacité à analyser des textes, à mémoriser.»

Les statistiques ne mentent d’ailleurs pas, et celles que vient de livrer le ministre de l’Enseignement au député CD&V Brecht Warnez ne font pas exception. Avoir opté pour une orientation en math-grec, latin-math ou latin-grec en humanités dope les chances de réussir sans accroc dans le supérieur puisque 53% des étudiants (en gréco-latines), 56% (en latin-math) et 65% (en math-grec) décrochent le diplôme de bachelier dans le délai convenu de trois ans, bien au-dessus des scores atteints par les autres filières. O tempora, o mores.

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