Pierre Havaux
Vent du Nord de Pierre Havaux : au Musée des Beaux-Arts d’Anvers, le sol blanc résiste mal aux pas des visiteurs
Saluée comme une réussite, la restauration du Musée des Beaux-Arts d’Anvers fait la fierté de la Flandre et de ses dirigeants politiques. L’affluence enregistrée lors du week-end de réouverture, fin septembre, a néanmoins révélé ce qui passe pour une fausse note : la blancheur éclatante de l’espace dédié à l’art moderne souffre visiblement du passage de milliers de chaussures. Une parade à cette rançon du succès est à l’étude.
Il vaut assurément le détour. Onze ans de travaux et un lifting à près de cent millions d’euros plus tard, le Musée des beaux-arts d’ Anvers renaît dans toute sa splendeur. Le voilà armé pour briller sur la carte du monde culturelle, rivaliser avec les plus prestigieuses institutions muséales de Paris, New York ou Londres. «Quelle merveille!», s’est enflammé Jan Jambon (N-VA), ministre-président du gouvernement flamand aussi en charge de la Culture, au détour d’une phrase de sa déclaration de rentrée politique lue au parlement flamand.
De fait, le produit fini dans lequel le pouvoir flamand a beaucoup investi est à la hauteur des espérances et des ambitions, salué par la critique, encensé de tous côtés. Cet espace dédié à l’art moderne n’est-il pas proprement bluffant avec son sol, ses murs, ses plafonds d’une blancheur éclatante à couper le souffle? Ce n’est là que volonté délibérée du bureau d’architecture néerlandais de créer ainsi «un musée dans le musée» tout de blanc revêtu, en rupture avec la partie classique dédiée aux grands maîtres de la peinture flamande.
Ce fut une bien belle affluence, le week-end de réouverture au public, les 24 et 25 septembre. Mais les 15 000 visiteurs recensés au cours des deux journées ont laissé des traces de leur passage. De vilaines empreintes noires occasionnées par des tas de chaussures sur le sol immaculé, de premières éclaboussures bien visibles sur le bas des murs. Fâcheux, gênant. Assez pour donner matière à photos aussitôt postées sur les réseaux sociaux, alimenter la discussion, déclencher une amorce de polémique sur le thème de la prise de risque de confier à un sol blanc et brillant le soin de supporter la déambulation des foules.
«Tempête dans un verre d’eau», a réagi la directrice du musée, Carmen Willems, confrontée à une mauvaise surprise qui, en réalité, n’en est pas une puisque le fait de ne pas avoir choisi la voie de la facilité est assumé. «Nous savons que ce sol brillant est délicat mais il est durable et facile à entretenir.» Tant mieux, car il faudra plus que jamais s’en remettre à la vélocité des équipes de nettoyage pour faire disparaître les stigmates de la fréquentation des lieux. Il s’agira de tenir la cadence sur la durée, quand viendra la saison des pluies et de la boue qui l’accompagne.
Il faut bien que les maladies de jeunesse se fassent, le défi n’est d’ailleurs pas qualifié d’insurmontable et la quête d’une solution est en cours. Des pistes circulent déjà, ici et là: à quand des couvre-chaussures lavables à distribuer à l’entrée, comme cela se pratique dans certains châteaux aux parquets séculaires? Pourquoi, suggère non sans malice ce coach versé en méditation bouddhiste, ne pas reconvertir ce sol constamment souillé en une œuvre d’art qui serait symbole de la fugacité et de la fragilité de l’existence humaine, et épargner par la même occasion aux techniciens de surface un surcroît de labeur?
Entre-temps, la responsable muséale recommande aux visiteurs d’admirer les chefs-d’œuvre accrochés aux murs plutôt que de porter le regard sur le sol maculé. Et de délivrer au passage ce petit conseil: merci de se rendre au musée muni de chaussures à semelle blanche. Pour éviter d’en arriver à devoir imposer les patins.
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