Pierre Havaux
Vent du Nord de Pierre Havaux : 571 millions versés par 3M pour sa pollution, le mégadeal qui pose questions (chronique)
Plutôt que de s’affronter devant les tribunaux, les autorités flamandes et la multinationale US ont fini par s’entendre sur le prix à payer pour réparer la lourde pollution aux PFAS causée des années durant par le site de production de Zwijndrecht, en région anversoise. Un demi-milliard d’euros, « tope-là et on en restera là ? » En Flandre, certains redoutent un marché de dupe si des effets insoupçonnés de la pollution venaient à se manifester plus tard.
Qu’on se le dise: jamais le principe du pollueur-payeur ne se sera à ce jour appliqué dans toute sa splendeur, avec autant de rigueur. Foi de ministre de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA), «jamais un pollueur n’a autant payé en Flandre, jamais une assurance financière d’un tel ordre de grandeur n’a été donnée pour un assainissement en Flandre. C’est du jamais-vu en Belgique» et c’est dans la poche, acté noir sur blanc: le chimiste 3M va payer chèrement la gravissime pollution aux PFAS, nocives substances per- et polyfluoroalkylées, occasionnée des années durant par son site de production de Zwijndrecht, en région anversoise. Un mégadeal à 571 millions d’euros passé avec les autorités flamandes: qui dit mieux?
On sait à quel point le diable raffole se cacher dans les détails d’un accord, d’aucuns cherchent donc l’arnaque dans ce win-win deal.
3M à l’amende, c’était la solution du bon sens, en tout cas du moindre mal. Mieux valait trouver un terrain d’entente juridico-financier avec la multinationale américaine que d’emprunter la voie hasardeuse du bras de fer devant les tribunaux, sans garantie de victoire au terme de longues années de procédure. Un demi-milliard d’euros, c’est toujours ça de pris pour liquider au plus vite les dégâts infligés au sol, relancer les travaux contrariés de l’Oosterweel, le «chantier du siècle» si crucial pour la mobilité à Anvers, et apaiser, un tant soit peu, des riverains plongés dans l’inquiétude.
Rapidité, transparence, ampleur, portée de l’accord: tout y est, insiste Zuhal Demir. Un vrai cas d’école qui fait honneur à la feuille de route tracée par la commission d’enquête parlementaire consacrée à ce scandale environnemental: «Les autorités flamandes doivent, par tous les moyens possibles, tenir 3M responsable du remboursement intégral de la facture de la pollution infligée, y compris l’assainissement et les dégâts sanitaires, économiques et environnementaux dérivés.»
Mais ne serait-ce pas un peu trop beau pour être vrai? Les représentants du peuple flamand, avant de boucler les valises pour cause de vacances, ont été plusieurs à vouloir partager leurs doutes et leurs inquiétudes avec la ministre. On sait à quel point le diable raffole se cacher dans les détails d’un accord, d’aucuns cherchent donc l’arnaque dans ce win-win deal, redoutant la faille juridique qui permettrait à 3M de se dérober tôt ou tard à ses obligations.
«571 millions d’euros, tope-là et on en restera là»: c’est le scénario à éviter avec ce genre de pollution qui peut laisser des traces aujourd’hui invisibles dans la nature ou dans les organismes et causer des malheurs insoupçonnés pour l’environnement et la santé. A-t-on au moins veillé à ce que la firme paie aussi pour d’éventuelles mauvaises surprises? Il a fallu que Zuhal Demir, longuement, patiemment, rassure des députés soupçonneux, assure que les autorités flamandes ne se sont pas privées des moyens juridiques de réclamer ultérieurement des comptes au pollueur-payeur. Et le tout aura été bouclé sans aller jusqu’à le mettre sur la paille en forçant la note: la firme américaine (5,8 milliards de bénéfices l’an dernier) en est quitte à ce stade pour une «douloureuse» de 571 millions, dont 350 millions en frais pour assainissement et réparation des dégâts, fiscalement déductibles. Histoire de faire aussi passer tous les Belges à la caisse.
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