Nicolas De Decker
Un jour il regrette, l’autre jour il ne regrette pas: Paul Magnette a-t-il la mémoire de lui-même?
En 2020, Paul Magnette disait regretter d’avoir dû laisser le poste de Premier ministre à Alexander De Croo. Aujourd’hui, il dit qu’il n’a jamais regretté d’avoir dû laisser le poste de Premier ministre à Alexander De Croo…
Il n’a pas la crédibilité caoutchouteuse, au hasard, d’un homologue tatoué plus fanatique de Formule 1 qu’exégète du structuralisme.
Il incarne une conscience, sa voix porte, Paul Magnette, et c’est un atout pour lui et pour le PS, cette crédibilité.
Quand il parle, il a toujours l’air de savoir, et on dirait que, du coup, les gens ont toujours envie de le croire, mais quand on l’écoute bien, à la fin, on ne sait plus bien s’il se croit lui-même quand il parle.
D’ailleurs, quand il avait écrit, en 2011, un livre sur le nationalisme flamand et qu’il disait qu’il fallait «obliger la N-VA à exercer le pouvoir», il y croyait sûrement.
Mais avait-il confiance en sa parole d’un peu plus tard quand il expliquait:
– que la N-VA ne devait pas exercer le pouvoir car elle était «un parti dangereux pour la Belgique», en 2019 ;
– puis qu’il répétait que le PS n’avait «aucune envie» d’exercer le pouvoir avec la N-VA tout en se demandant «combien de fois il devrait le répéter», au printemps 2020 ;
– puis qu’en juillet 2020, il disait «on peut envisager de gouverner avec la N-VA» ;
– puis qu’il gouvernait sans la N-VA en disant qu’il avait failli être obligé d’exercer le pouvoir avec la N-VA mais qu’il n’avait jamais envisagé de gouverner avec elle?
Et Paul Magnette avait-il la mémoire de lui-même, début octobre 2020, juste après avoir bouclé un accord de gouvernement qui ne prévoyait pas le retour à 65 ans de l’âge légal de la pension, quand il jura qu’à «titre personnel», il n’avait jamais défendu le retour à 65 ans de l’âge légal de la pension?
Ou bien pensait-il être quelqu’un d’autre que le Paul Magnette qui expliquait en octobre 2017 que, le retour à 65 ans de l’âge légal de la pension étant «du pur bon sens», il voulait en faire une «exigence pas négociable» pour boucler un accord de gouvernement?
Il faudrait le savoir, car ce Paul Magnette de début octobre 2020 disait aussi «ne pas être déçu» d’avoir formé un gouvernement sans qu’il en soit le Premier ministre, mais il avouait bien avoir «une petite pointe de regret, évidemment» à cause «du sentiment d’avoir beaucoup donné et de faire un pas de côté à la fin». Or, un Paul Magnette, peut-être le même que le précédent, mais sans doute pas, répondait en novembre 2023 à un journaliste de L’Echo. «Vu la situation de De Croo, ce n’est pas si mal d’avoir renoncé au 16, non?», lui a demandé le confrère, qui croyait probablement se trouver devant le Paul Magnette d’octobre 2020 qui regrettait, en petite pointe, de ne pas être Premier ministre.
«Je ne l’ai jamais regretté et pour vous faire une confidence, c’est en songeant à cela que je m’étais décidé à l’époque», lui a répondu Paul Magnette, universitaire, professeur à l’ULB, président du plus grand parti francophone, bourgmestre de la plus grande ville wallonne, «pundit» des antennes françaises, âme de l’écosocialisme, souffle de la politologie, cœur pasolinien, cerveau jauressien, orateur puissant, interviewé cohérent, homme de sa mémoire et comptable de sa parole, tant de personnes à la fois et même encore plus, un atout pour lui et pour le PS, toutes ces crédibilités multiples, à condition qu’on croie celui qui parle tout seul comme plusieurs, sans confondre le Paul Magnette du moment avec celui de l’instant suivant.
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