Juliette Debruxelles

Hypersexualisation des personnes porteuses de Trisomie: le fantasme de la vulnérabilité

Eternels enfants, anges souriants voués à l’innocence… Les biais inconscients éculés liés à l’image des personnes porteuses de trisomie perdurent. Sauf qu’à l’autre extrémité du spectre, une distorsion opposée grandit: celle de l’hypersexualisation de ces personnes –en particulier de jeunes filles– atteintes du syndrome de Down. Une tendance? Un phénomène émergent? Ou le symptôme plus profond d’une société qui instrumentalise la vulnérabilité pour la transformer en marchandise?

Lire aussi | Sujets de désir


Sur certaines plateformes de  «contenus pour adultes», de nouveaux profils apparaissent. Regards doux, traits arrondis, caractéristiques physiques associées à la trisomie 21. Ces visages –en réalité générés par intelligence artificielle– sont façonnés pour répondre à un fantasme de niche. Et attention, il ne s’agit pas ici de diversité, d’équité ou d’inclusion, mais de l’exploitation algorithmique d’un stéréotype.

Bien sûr que les personnes dites «trisomiques» ont une vie affective, amoureuse, sexuelle. Bien sûr qu’elles ont droit, si elles le souhaitent, et comme tout le monde, à l’expression de leur désir. Mais une exposition subie n’a rien d’une reconnaissance. Loin d’une libération, proche d’une autre aliénation: celle d’un regard extérieur qui les projette dans des récits sexuels qu’elles n’ont pas choisis. Ce qui inquiète ici, ce n’est pas la sexualité. C’est sa récupération par d’autres, qui l’utilisent sans égard pour leur vulnérabilité, leur consentement, leur autonomie.

A travers cette mise en avant pornographique, il ne s’agit pas de visibiliser des personnes ayant une trisomie comme étant libres de leur sexualité. Il s’agit de fabriquer de toutes pièces un objet sexuel sans affect. Oui, certaines personnes trisomiques sont mannequins, influenceuses, militantes. Leur image circule, parfois dans des contextes où leur corps est mis en valeur. Mais l’hypersexualisation, ce n’est pas ça. L’hypersexualisation, ce n’est pas le fait de se montrer. C’est le fait d’être montré à travers une grille unique: celle du fantasme. La trisomie, jusqu’alors restée dans l’ombre d’une image quasi angélique, entre aujourd’hui dans la lumière crue des fétichismes numériques.

L’hypersexualisation, c’est le fait d’être montré à travers une grille unique: celle du fantasme.


Le fétichisme de dévotion au handicap prospère dans les marges d’Internet. Il se pare parfois d’un discours de respect. Mais derrière ces mots, le mécanisme des prédateurs et consommateurs est connu: une fascination pour la fragilité, un besoin de pouvoir, un fantasme de domination. Quand le handicap devient objet de désir, c’est trop souvent le regard normatif qui y projette ses propres fantasmes, sans jamais voir la personne en tant que sujet à part entière. Hypersexualiser les personnes ayant une trisomie 21, même dans le monde virtuel, a des conséquences réelles. Confusion identitaire, trouble de l’image de soi, assimilation de normes sexuelles qui ne devraient pas tourner dans la réalité, comportements sexualisés mal interprétés, dérives de prise en charge, soupçons permanents quant à la capacité à consentir


Au même titre que tout un chacun, les personnes porteuses de trisomie devraient bénéficier d’une éducation sexuelle qui prenne en compte leurs besoins spécifiques, sans les infantiliser ni les exposer. Exiger des plateformes une régulation ferme contre les deepfakes et les contenus fétichisants. Et surtout, créer des espaces sûrs où leur parole puisse exister, loin du prisme déformant des regards malsains extérieurs.
Nouvelle tendance ? Peut-être. Mais surtout, vieille histoire. Celle d’un monde qui peine encore à considérer que sexualité et handicap ne sont ni une aberration ni un spectacle. Un monde où il serait temps que les personnes concernées aient le droit de définir, pour elles-mêmes, ce que veut dire être désirables… et désirer.

Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire