Franklin Dehousse

Trente ans après, l’éternel retour de la confédération européenne

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Il y a quelque chose de fascinant à voir l’Europe revivre tous ses débats d’après 1989 sans que les dirigeants les comprennent mieux, hélas. La résurrection, par Emmanuel Macron, du vieux projet de François Mitterrand d’une confédération européenne en offre une nouvelle illustration. A l’évidence, il est servi sous le vocable «communauté politique» pour éviter aux jeunes esprits la sensation d’un vieux plat réchauffé.

Cette idée fut lancée par Mitterrand en décembre 1989. Il devait peu après obtenir le soutien de Václav Havel, le président de la République fédérale tchèque et slovaque (qui devait par la suite en découvrir les faiblesses). Le projet consistait à créer une nouvelle structure rassemblant tous les Etats européens, de l’ouest et de l’est, pour lancer des projets nouveaux. Des torrents d’énergie furent déployés en 1990 et 1991 pour lui trouver une concrétisation, mais ils s’avérèrent en fin de compte totalement inutiles.

La raison est simple. L’Europe constitue déjà un fantastique capharnaüm d’organisations internationales. L’Union européenne pour l’intégration la plus profonde, l’Otan pour la sécurité militaire, le Conseil de l’Europe pour diverses questions et d’abord les droits de l’homme, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) pour la démocratie et les élections, l’Espace économique européen (EEE) pour l’accès au marché unique. Toute proposition d’institution nouvelle doit par conséquent prouver sa valeur ajoutée, ce qui n’est pas du tout aisé. En outre, comme devait le déclarer plus tard Václav Havel, il ne fallait pas freiner l’adhésion aux organisations les plus essentielles, à savoir l’Union et l’Otan.

Promettre des symboles pour éviter de promettre des choses réelles.

Avec sa flagornerie usuelle, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine décrivait ce projet comme «une idée lancée trop tôt». La formule adéquate serait plutôt «une idée lancée trop mal». Dans un contexte hypernouveau et complexe, Mitterrand l’avait adoptée sans discuter avec quiconque, et sans la moindre étude. Que ne ferait-on pas à la fois par soif médiatique et par souci de reporter des choix douloureux? Macron semble l’avoir récupérée avec le même amateurisme. Le Macron structuré de 2017 semble bien loin, comme le révèle aussi son programme électoral, creux sur les affaires européennes, et donnant en général l’impression d’avoir été rédigé sur un coin de table en 48 heures.

L’équation demeure en effet la même: que peut-on faire avec ceci qui ne peut être fait ni par l’UE, ni par l’Otan, ni par l’EEE, ni par le Conseil de l’Europe, ni par l’OSCE? La réponse reste difficile. De plus, ajouter dans cette perspective les relations compliquées avec le Royaume-Uni post-Brexit ou avec la Turquie sous dictature d’Erdogan ne fait que compliquer encore les choses.

En revanche, l’idée s’intègre magistralement dans deux tendances lourdes de l’Union européenne actuelle. D’une part, promettre des symboles pour éviter de promettre des choses réelles. D’autre part, dans le doute, créer une nouvelle institution, cela ne peut pas faire de mal. L’essentiel ne consiste plus à susciter le mouvement, mais à le simuler (voir la répétition sans fin de la même stratégie pour les paradis fiscaux, les armements ou le prix du carbone). Bienvenue dans la vraie famille européenne, président Zelensky!

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