Nicolas De Decker
Sophie Wilmès, le ruissellement et l’évitement
Tête de liste à l’Europe, Sophie Wilmès pourra éviter les débats clivants pendant la campagne. Mais sa popularité ruissellera-t-elle, comme promis, sur les autres listes du MR?
Sophie Wilmès est une personne gentille, et en Belgique francophone, c’est une star. Elle est la personnalité politique préférée des Wallons et des Bruxellois, en tout cas lorsqu’on leur demande de choisir dans une liste fermée de noms.
De tous les côtés du MR, à part depuis le bureau présidentiel, on brandit cette popularité en raison.
Elle s’est imposée à la tête de la liste pour laquelle tous les francophones pourront voter, l’européenne, afin que toutes les listes libérales, des confins du Luxembourg belge aux cantons dits rédimés (avant la cancel culture), en passant par les corons de La Docherie et les openfields hesbignons, profitent des irradiations de cette stellaire notoriété.
Cet espoir officiellement communiqué relève de ce que des économistes -surtout ceux qui le récusent- appellent le ruissellement, ici décliné de l’économie des échanges marchands de biens et de services à l’économie des marchandages de voix de préférence.
Pourtant, l’aspiration au ruissellement traduit surtout une propension à l’évitement, car Sophie Wilmès gère son patrimoine politique comme une habile rentière plutôt que comme une investisseuse agressive.
Sophie Wilmès refuse tous les débats politiques, elle peut se contenter de Grandes conférences catholiques, où en janvier dernier, à Bozar, près de deux mille spectateurs comblés sont venus l’acclamer et s’en trouver inspirés.
Et elle refuse toutes les interviews politiques, elle peut se satisfaire de faire la Une de Ciné-Télé-Revue ou de Paris Match, depuis lesquelles elle viendra se rappeler au souvenir de centaines de milliers de lecteurs, de clients de coiffeurs et de patients de dentistes, que la politique n’intéresse pas mais qui aiment les stars et les personnes gentilles.
Et elle refuse toutes les confrontations politiques, parce que comme elle est une personne gentille et une star, dans aucune conférence et sur aucune couverture de magazine, dans aucun de ses gestes et aucune de ses apparitions, Sophie Wilmès ne contredira un adversaire.
Elle n’a jamais fait une promesse, n’a nulle part défendu un bilan, n’a vraiment fait campagne pour rien. Et d’ici au 9 juin, elle n’aura pas une idée franche, n’exprimera jamais une opinion carrée, et ne s’engagera jamais à rien d’autre qu’à être elle-même.
A elle, cela suffira. Il n’y a rien de tel pour cela qu’une tête de liste européenne, dont les enjeux sont méconnus, même des spectateurs des Grandes conférences catholiques, pour valoriser un patrimoine politique constitué sur un silence que tout le monde constate plutôt que sur un boucan que personne n’entend, à commencer par les lecteurs de Ciné-Télé-Revue et de Paris Match.
Mais rien ne dit que son exploitation patrimoniale de l’absence aura des bénéfices collectifs. Le sondage du Vif réalisé par Kantar l’a montré, Sophie Wilmès a tellement évité de faire de la politique qu’elle n’est pas du tout la favorite des Wallons et des Bruxellois lorsqu’on leur demande de citer spontanément l’homme ou la femme politique qu’ils préfèrent.
Elle ne l’est que lorsqu’on leur propose une liste fermée de personnalités politiques, comme le seront les listes qu’il faudra cocher le 9 juin.
Or, à l’exception de l’européenne, aucune ne contiendra son nom. C’est là que les comptables du MR découvriront, peut-être, le faible potentiel de ruissellement de l’évitement.
Nicolas De Decker est journaliste au Vif.
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