Juliette Debruxelles

Sodurètre: un rond dans un carré (et inversement)

Vous croyez savoir qu’il est parfois compliqué de faire entrer un rond dans un carré? Oubliez. Les adeptes du sodurètre vont vous prouver qu’avec un peu d’astuce, d’espièglerie et une bonne splotch de vaseline, les plus petits orifices peuvent accueillir plus grand qu’eux. L’urètre – canal de sortie de l’urine de la vessie – peut, selon eux, devenir un canal de plaisir comme un autre. Peu importe que le sexe biologique soit féminin ou masculin (encore que, selon les réseaux sociaux, on note une nette préférence des messieurs pour cette pratique encuriosante), l’important est que ça puisse se boucher. Sur Google, lorsqu’on tape «urètre», l’une des premières questions suggérées est «Comment dilater l’urètre d’un homme» (la réponse est médicale et concerne l’autosondage. Mais les bonnes idées ne sont-elles pas toujours détournées? ). Dilater, introduire, masturber, ressortir, replonger… tout est question d’imagination. Une liste non exhaustive des objets utilisés tourne sur Internet: pic à brochette (en métal, rapport aux échardes), crayon de toutes les couleurs, câble chargeur de téléphone (noué ou non selon le souhait), tige d’ortie, aiguillée, trombone, brosse à dents, paille, doigt ou même queue d’écureuil (véridique et plutôt farce) seraient employés… Après, il faut lubrifier, oser, y aller en douceur et, surtout, aimer la conjugaison de la douleur et du plaisir. Chacun ses petits moments de joie, croit-on.

Dilater, introduire, ressortir, replonger… tout est question d’imagination.

Mais revenons aux lois de la physique-physique car elles ont ici toute leur importance. «Tout objet plongé verticalement de haut en bas dans un morceau de corps humain qui ne l’attendait pas subit une pression morale et un risque de ne pas ressortir», pourra-t-on lire sur l’épitaphe des sodurètres addicts. C’est le théorème dit «du pommeau de changement de vitesse coincé dans le rectum». Car l’urètre et son pote l’anus sont des farceurs. Des magiciens toujours prêts à faire disparaître ce qui passe à leur portée afin de conduire la victime vers les urgences les plus proches et de provoquer un fou rire collectif du corps médical. Paraphrasons: «Comment cela vous est-il arrivé?» «Eh bien, docteur, je prenais tranquillement mon bain quand le nécessaire de couture de ma belle-mère a bondi, laissant l’aiguille à tricoter me pénétrer la verge tandis que je la nettoyais.»

Au même titre qu’une bouteille de cola ou une boule de pétanque n’entre pas seule dans le fondement de votre voisin, le manche d’une petite cuillère n’a pas l’autonomie nécessaire pour boucher l’urètre de votre cousin. Les points communs entre les deux pratiques: les dégâts (rétention ou infection urinaire, septicémie et, rarement, nécrose du pénis), mais aussi l’étymologie, sodurètre étant un néologisme composé de sodomie et urètre.

Ça dure depuis combien de temps, cette fantaisie? Un bail, sans doute. Mais c’est au début des années 1950 que le docteur Ernst Gräfenberg (connu pour avoir — notez les guillemets — «découvert le point G») a décrit le sodurètre pour la postérité dans son ouvrage Le Rôle de l’urètre dans l’orgasme féminin.

Que dit tout cela de notre société? Que les frontières entre santé mentale, recherche de pratiques toujours plus extrêmes à regarder en vidéo et BDSM safe et encadré sont poreuses, mal définies. Si chacun fait encore bien ce qu’il veut de sa chair, quid d’une expression de souffrance psychique extrême déguisée en liberté de jouir à sa guise?

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire